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ces moines, et vous serez étonné qu’ils aient résisté à tant de causes de destruction. Mais remarquez que ces ordres mendiants étant au nombre de deux, et toujours en guerre l’un avec l’autre, se contre-balançaient mutuellement, et s’empêchaient de gagner trop de terrain ; ils se sont ainsi minés et soutenus réciproquement, jusqu’à ce que les Jésuites, mendiants aussi dans leur origine, sont venus succéder au crédit des uns et des autres, et leur ont dit comme le soldat de Virgile, hæc mea sunt, veteres migrate coloni. Qu’en est-il arrivé ? Les mendiants sont oubliés et vivent, les Jésuites ont régné et se meurent. Peut-être cependant les Jésuites, dans l’État même où ils sont réduits, ne voudraient pas troquer leur agonie contre la chétive existence des mendiants. Dans le vrai, quoique bien malades, ils ne sont encore ni sans vie, ni même sans force ; c’est une puissance qui a perdu trois grandes provinces, mais à qui il reste des établissements et des ressources ; et s’ils doivent mourir, il y a apparence que leur agonie sera longue.

XIX. Qui sera désormais assez insensé, ou plutôt assez imbécile, je ne dis pas seulement pour se faire jésuite, mais pour se faire moine, malgré les louanges données par le roi d’Espagne à tout ce qui ne porte pas l’habit de S. Ignace ? Il ne faut qu’un ou deux chefs et quelques confrères turbulents et factieux, pour se voir exposé à être arraché brusquement de son lit et de sa maison, jeté dans une voiture, de là dans un vaisseau ou sur la frontière, et enlevé pour jamais à sa patrie, à sa famille, à ses amis, sans pouvoir même deviner par où on a pu mériter un pareil traitement. Cette réflexion fera peut-être cesser tout-à-fait la sottise d’entrer dans les cloîtres, qui diminue déjà de jour en jour ; et cette sottise abolie sera un grand bien pour l’humanité. Ainsi soit-il.

XX. Puissent au moins les Jésuites, instruits par tant de malheurs, ne plus faire parler d’eux quelque part qu’ils soient ! Puissent aussi les jansénistes, qui sans les Jésuites ne sauraient vivre, les accompagner dans leur retraite ! Puissent les uns et les autres, ainsi réunis dans un même lieu, et s’il est possible, sous un même toit, s’accorder entre eux s’ils le peuvent, ou se dévorer mutuellement, s’ils ne trouvent rien de mieux à faire. Ainsi soit-il encore.

Je suis, etc.


Addition qui doit être mise à la fin de la seconde lettre.


La première des deux lettres qui servent de supplément à l’histoire de la destruction des Jésuites, a paru dans les pays