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prodiges qu’ils faisaient opérer tous les jours et par centaines dans le petit cimetière de St.-Médard, qu’ils eurent l’impiété d’avancer, au plus fort de leur succès, que les miracles de Jésus-Christ n’avaient été ni plus avérés ni plus éclatants que ceux du bienheureux diacre ; mais ce qui vous paraîtra singulier, monsieur, et en même temps bien honteux pour notre siècle, ils accumulèrent tant de témoignages en faveur de ces prétendus prodiges, que leurs adversaires n’osant nier les faits, prirent le parti de les attribuer au diable ; c’était jouer gros jeu que d’attaquer ainsi des miracles ; car quels prodiges n’attribuera-t-on pas au diable, quand on le voudra ? Et quel moyen restera-t-il de discerner la vraie religion d’avec les fausses, l’erreur d’avec la vérité ? Je sais que quelques uns des premiers auteurs chrétiens, à qui on objectait les prétendus miracles du paganisme, et qui apparemment les croyaient bien avérés, on ne sait pas pourquoi, ont aussi pris le parti de les attribuer au diable ; mais avec tout le respect que je leur dois, je ne puis en ce point approuver leur logique ; il était, ce me semble, bien plus simple de dire à leurs adversaires : nos miracles seuls sont vrais ; les vôtres sont des impostures ; venez, voyez, et niez, si vous l’osez, les prodiges que Dieu fait pour nous ; nous vous défions d’en montrer de semblables. Quand on est sûr, comme ces chrétiens devaient l’être, de la bonté de sa cause, c’est ainsi qu’on doit la défendre.

Quoi qu’il en soit, le gouvernement fit aux jansénistes la seule réponse qu’ils méritaient, la seule qui les ait forcés au silence ; il fit fermer la porte du petit cimetière où s’opéraient tant de merveilles, et le nouveau thaumaturge s’arrêta aussitôt, comme le soleil à la voix de Josué. Vous connaissez, monsieur, les vers charmants que les jansénistes firent alors, pour être mis, disaient-ils, au-dessus de la porte par laquelle tant de miracles avaient passé :

De par le roi, défense à Dieu
De faire miracle en ce lieu.

Ne trouvez-vous pas ces vers excellents, dirait à l’abbé Terrasson un illuminé, que le bienheureux Pâris avait guéri d’un rhume ? Excellents, répondit le philosophe, et d’autant meilleurs que de ce moment Dieu en effet a cessé. L’illuminé trouva cette réponse impie. Quoi de plus impie en effet que de tourner finement en ridicule l’absurdité et l’audace avec laquelle les jansénistes osaient mettre en jeu dans cette matière le nom respectable de la Divinité ? C’est ainsi que les Jésuites accusaient Pascal de tourner les choses saintes en raillerie, pour avoir apporté et tourné en ridicule les impiétés absurdes de leurs casuistes.