Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/97

Cette page n’a pas encore été corrigée
59
DE L’ENCYCLOPÉDIE.

après avoir sacrifié pendant quelques années au mauvais goût dans la carrière dramatique, s’en affranchit enfin, découvrit par la force de son génie, bien plus que par la lecture, les lois du théâtre, et les exposa dans ses discours admirables sur la tragédie, dans ses réflexions sur chacune de ses pièces, mais principalement dans ses pièces mêmes. Racine s’ouvrant une autre route, fit paraître sur le théâtre une passion que les anciens n’y avaient guère connue, et développant les ressorts du cœur humain, joignit à une élégance et une vérité continues quelques traits de sublime. Despréaux, dans son Art poétique, se rendit régal d’Horace en l’imitant. Molière, par la peinture fine des ridicules et des mœurs de son temps, laissa loin derrière lui la comédie ancienne. La Fontaine fit presque oublier Ésope et Phèdre, et Bossuet alla se placer à côté de Démosthène.

Les beaux-arts sont tellement unis avec les belles-lettres, que le même goût qui cultive les unes, porte aussi à perfectionner les autres. Dans le même temps que notre littérature s’enrichissait par tant de beaux ouvrages, Poussin faisait ses tableaux, et Puget ses statues ; Le Sueur peignait le cloître des Chartreux, et Lebrun les batailles d’Alexandre ; enfin Quinault, créateur d’un nouveau genre, s’assurait l’immortalité par ses poèmes lyriques, et Lulli donnait à notre musique naissante ses premiers traits.

Il faut avouer pourtant que la renaissance de la peinture et de la sculpture avait été beaucoup plus rapide que celle de la poésie et de la musique ; et la raison n’en est pas difficile à apercevoir. Dès qu’on commença à étudier les ouvrages des anciens en tout genre, les chefs-d’œuvre antiques qui avaient échappé en assez grand nombre à la superstition et à la barbarie, frappèrent bientôt les yeux des artistes éclairés ; on ne pouvait imiter les Praxitèles et les Phidias, qu’en faisant exactement comme eux ; et le talent n’avait besoin que de bien voir : aussi Raphaël et. Michel-Ange ne furent pas long-temps sans porter leur art à un point de perfection, qu’on n’a point encore passé depuis. En général, l’objet de la peinture et de la sculpture étant plus du ressort des sens, ces arts ne pouvaient manquer de précéder la poésie, parce que les sens ont dû être plus promptement affectés des beautés sensibles et palpables des statues anciennes, que l’imagination n’a dû apercevoir les beautés intellectuelles et fugitives des anciens écrivains. D’ailleurs, quand elle a commencé à les découvrir, l’imitation de ces mêmes beautés, imparfaite par sa servitude et par la langue étrangère dont elle se servait, n’a pu manquer de nuire aux progrès de l’imagination même. Qu’on suppose pour un moment nos peintres et nos sculpteurs privés