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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

avant que d’entier, sur ce sujet, dans tout le détail qu’on est en droît d’exiger de nous, il ne sera pas inutile d’examiner avec quelque étendue l’état présent des sciences et des arts, et de montrer par quelle gradation on y est arrivé. L’exposition métaphysique de l’origine et de la liaison des sciences nous a été d’une grande utilité pour en former l’arbre encyclopédique ; l’exposition historique de l’ordre dans lequel nos connaissances se sont succédées, ne sera pasmoins avantageuse pour nous éclairer nous-mêmes sur la manière dont nous devons transmettre ces connaissances à nos lecteurs. D’ailleurs l’histoire des sciences est naturellement liée à celle du petit nombre de grands génies dont les ouvrages ont contribué à répandre la lumière parmi les hommes, et ces ouvrages ayant fourni pour le nôtre les secours généraux, nous devons commencer à en parler avant que de rendre compte des secours particuliers que nous avons obtenus. Pour ne point remonter trop haut, fixons-nous à la renaissance des lettres.

Quand on considère les progrès de l’esprit depuis cette époque mémorable, on trouve que ces progrès se sont faits dans l’ordre qu’ils devaient naturellement suivre. On a commencé par l’érudition, continué par les belles-lettres, et fini par la philosophie. Cet ordre diffère à la vérité de celui que doit observer l’homme abandonné à ses propres lumières, ou borné au commerce de ses contemporains, tel que nous l’avons principalement considéré dans la première partie de ce discours : en effet, nous avons fait voir que l’esprit isolé doit rencontrer dans sa route la philosophie avant les belles-lettres. Mais en sortant d’un long intervalle d’ignorance que des siècles de lumière avaient précédé, la régénération des idées, si on peut parler ainsi, a du nécessairement être différente de leur génération primitive. Nous allons tâcher de le faire sentir.

Les chefs-d’œuvre que les anciens nous avaient laissés dans presque tous les genres, avaient été oubliés pendant douze siècles. Les principes des sciences et des arts étaient perdus, parce que le beau et le vrai qui semblent se montrer de toutes parts aux hommes, ne les frappent guère à moins qu’ils n’en soient avertis. Ce n’est pas que ces temps malheureux aient été plus stériles que d’autres en génies rares ; la nature est toujours la même ; mais que pouvaient faire ces grands hommes, semés de loin à loin comme ils le sont toujours, occupés d’objets différens, et abandonnés sans culture à leurs seules lumières ? Les idéesqu’on acquiert par la lecture et par la société, sont le germé de presque toutes les découvertes. C’est un air que l’on respire sans y penser, et auquel on doit la vie ; et les hommes