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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

sique qui les en sépare. L’imagination dans un géomètre qui crée, n’agit pas moins que dans un poète qui invente. Il est vrai qu’ils opèrent différemment sur leur objet ; le premier le dépouille et l’analyse, le second le compose et l’embellit. Il est encore vrai que cette manière différente d’opérer n’appartient qu’à différentes sortes d’esprits ; et c’est pour cela que les talens du grand géomètre et du grand poète ne se trouveront peut-être jamais ensemble. Mais soit qu’ils s’excluent ou ne s’excluent pas l’un l’autre, ils ne sont nullement en droit de se mépriser réciproquement. De tous les grands hommes de l’antiquité, Archimède est peut-être celui qui mérite le plus d’être placé à côté d’Homère. J’espère qu’on pardonnera cette digression à un géomètre qui aime son art, mais qu’on n’accusera point d’être admirateur outré ; et je reviens à mon sujet.

La distribution générale des êtres en spirituels et en matériels fournit la sous-division de trois branches générales. L’histoire et la philosophie s’occupent également de ces deux espèces d’êtres, et l’imagination ne travaille que d’après les êtres purement matériels, nouvelle raison pour la placer la dernière dans l’ordre de nos facultés. À la tête des êtres spirituels est Dieu, qui doit tenir le premier rang par sa nature, et par le besoin que nous avons de le connaître. Au-dessous de cet Être suprême sont les esprits créés, dont la révélation nous apprend l’existence. Ensuite vient l’homme, qui, composé de deux principes, tient par son âme aux esprits, et par son corps au monde matériel ; et enfin ce vaste univers que nous appelons monde corporel ou la nature. Nous ignorons pourquoi l’auteur célèbre qui nous sert de guide dans cette distribution, a placé la nature avant l’homme dans son système ; il semble, au contraire, que tout engage à placer l’homme sur le passage qui sépare Dieu et les esprits d’avec les corps.

L’histoire, en tant qu’elle se rapporte à Dieu, renferme ou la revélation ou la tradition, et se divise, sous ces deux points de vue, en histoire sacrée et en histoire ecclésiastique. L’histoire de l’homme a pour objet, ou ses actions, ou ses connaissances ; et elle est par conséquent civile on littéraire, c’est-à-dire, se partage entre les grandes nations et les grands génies, entre les rois et les gens de lettres, entre lesconquérans et les philosophes. Enfin l’histoire de la nature est celle des productions innombrables qu’on y observe, et forme une quantité de branches presque égale au nombre de ces diverses productions. Parmi ces différentes branches, doit être placée avec distinction l’histoire des arts, qui n’est autre chose que l’histoire des usages que les hommes ont fait des productions de la nature, pour satisfaire à leurs besoins ou à leur curiosité.