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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

marquons, à la vérité, dans ces individus, des propriétés communes par lesquelles nous les comparons, et des propriétés dissemblables par lesquelles nous les discernons : et ces propriétés désignées par des noms abstraits, nous ont conduits à former différentes classes où ces objets ont été placés. Mais souvent tel objet qui, par une ou plusieurs de*ses propriétés, a été placé dans une classe, tient à une autre classe par d’autres propriétés, et aurait pu tout aussi bien y avoir place. Il reste donc nécessairement de l’arbitraire dans la division générale. L’arrangement le plus naturel serait celui oii les objets se succéderaient par les nuances insensibles qui servent tout à la fois à les séparer et à les unir. Mais le petit nombre d’êtres qui nous sont connus, ne nous permet pas de marquer ces nuances. L’univers n’est qu’un aste océan, sur là surface duquel nous apercevons quelques îles plus ou moins grandes, dont la liaison avec le continent nous est cachée.

On pourrait former l’arbre de nos connaissances en les divisant, soit en naturelles et en révélées, soit en utiles et agréables, soit en spéculatives et pratiques, soit en évidentes, certaines, probables et sensibles, soit en connaissances des choses et connaissances des signes ; et ainsi à l’infini. Nous avons choisi une division qui nous a paru satisfaire tout à la fois le plus qu’il est possible à l’ordre encyclopédique de nos connaissances et à leur ordre généalogique. Nous devons cette division à un auteur célèbre dont nous parlerons dans la suite de ce discours : nous avons pourtant cru y devoir faire quelques changemens, dont nous rendrons compte. Mais nous sommes trop convaincus de l’arbitraire qui régnera toujours dans une pareille division, pour croire que notre système soit l’unique ou le meilleur ; il nous suffira que notre travail ne soit pas entièrement désapprouvé par les bons esprits. Nous ne voulons point ressembler à cette foule de naturalistes qu’un philosophe moderne a eu tant de raison de censurer ; et qui occupés sans cesse à diviser les productions de la nature en genres et en espèces, ont consumé dans ce travail un temps qu’ils auraient beaucoup mieux employé à l’étude de ces productions mêmes. Que dirait-on d’un architecte qui ayant à élever un édifice immense, passerait toute sa vie à en tracer le plan ; ou d’un curieux qui se proposant de parcourir un vaste palais, emploierait tout son temps à en observer l’entrée ? Les objets dont notre âme s’occupe sont ou spirituels ou matériels, et notre âme s’occupe de ces objets ou par des idées directes ou par des idées réfléchies. Le svstème des connaissances directes ne peut consister que dans la collection purement passive et comme machinale de ces mêmes connaissances ; c’est ce