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DE L’ENCYCLOPÉDIE.

côté à peu près d’un pas égal. Ainsi plusieurs sciences ont été, pour ainsi dire, contemporaines ; mais dans l’ordre historique des progrès de l’esprit, on ne peut les embrasser que successivement.

Il n’en est pas de même de l’ordre encyclopédique de nos connaissances. Ce dernier^onsiste à les rassembler dans le plus petit espace possible, et à placer, pour ainsi dire, le philosophe au-dessus de ce vaste labyrinthe dans un point de vue fort élevé d’oii il puisse apercevoir à la fois les sciences et les arts principaux ; voir d’un coup d’œil les objets de ses spéculations, et les opérations qu’il peut faire sur ces objets ; distinguer les branches générales des connaissances humaines, les points qui les séparent ou qui les unissent, et entrevoir même quelquefois les routes secrètes qui les rapprochent. C’est une espèce de mappemonde qui doit montrer les principauid pays, leur position et leur dépendance mutuelle, le chemin en ligne droite qu’il y a de l’un à l’autre ; chemin souvent coupé par mille obstacles, qui ne peuvent être connus sur chaque pays que des habitans ou des voyageurs, et qui ne sauraient être montrés que dans des cartes particulières fort détaillées. Ces cartes particulières seront les différens articles de l’Encyclopédie, et l’arbre ou système figuré en sera la mappemonde.

Mais, comme dans les cartes générales du globe que nous habitons, les objets sont plus ou moins rapprochés, et présentent un coup d’œil différent selon le point de vue où l’œil est placé par le géographe qui construit la carte, de même la forme de l’arbre encyclopédique dépendra du point de vue oii l’on se mettra pour envisager l’univers littéraire. On peut donc imaginer autant de systèmes différens de la connaissance humaine, que de mappemondes de différentes projections ; et chacun de ces systèmes pourra même avoir, à l’exclusion des autres, quelque avantage particulier. Il n’est guère de savans qui ne placent volontiers au centre de toutes les sciences celle dont ils s’occupent, à peu près comme les premiers hommes se plaçaient au centre du monde, persuadés que l’univers était fait pour eux. La prétention de plusieurs de ces savans, envisagée d’un œil philosophique, trouverait peut-être, même hors de l’amourpropre, d’assez bonnes raisons pour se justifier.

Quoi qu’il en soit, celui de tous les arbres encyclopédiques qui offrirait le plus grand nombre de liaisons et de rapports entre les sciences, mériterait sans doute d’être préféré. Mais peut-on se flatter de le saisir ? la nature, nous ne saurions trop le répéter, n’est composée que d’individus qui sont l’objet primitif de nos sensations et de nos perceptions directes. Nous re-