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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

combien de découvertes qui ont immortalise leurs auteurs, avaient été préparées jDar les travaux des siècles précédens, souvent même amenées à leur maturité, au point de ne demander plus qu’un pas à faire ? et, pour ne point sortir de l’horlogerie, pourquoi ceux à qui nous devons la fusée des montres, l’échappement et la répétition, ne sont-ils pas aussi estimés que ceux qui ont travaillé successivement à perfectionner l’algèbre ? D’ailleurs, si j’en crois quelques philosophes que le mépris de la multitude pour les arts n’a j)oint empêché de les étudier, il est certaines machines si compliquées, et dont toutes les parties dépendent tellement l’une de l’autre, qu’il est difficile que l’invention en soit due à plus d’un seul homme. Ce génie rare dont le nom est enseveli dans l’oubli, n’eùt-il pas été bien digne d’éfre placé à côté du petit nombre d’esprits créateurs, qui nous ont ouvert dans les sciences des routes nouvelles ?

Parmi les arts libéraux qu’on a réduits à des principes, ceux qui se proposent l’imitation de la nature, ont été appelés beaux arts, parce qu’ils ont principalement l’agrément pour objet. Mais ce n’est pas la seule chose qui les distingue des arts libéraux plus nécessaires ou plus utiles, comme la grammaire, la logique et la morale. Ces derniers ont des règles fixes et arrêtées, que tout homme peut transmettre à un autre : au lieu que la pratique des beaux arts consiste principalement dans une invention qui ne prend guère ses lois que du génie ; les règles qu’on a écrites sur ces arts n’en sont proprement que la partie mécanique ; elles produisent à peu près l’effet du télescope, elles n’aident que ceux qui voient.

Il résulte de tout ce que nous avons dit jusqu’ici, que les différentes manières dont notre esprit opère sur les objets et les différens usages qu’il tire de ces objets mêmes, sont le premier moyen qui se présente à nous pour discerner en général nos connaissances les unes des autres. Tout s’y rapporte à nos besoins, soit de nécessité absolue, soit de convenance et d’agrément, soit même d’usage et de caprice. Plus les besoins sont éloignés ou difficiles à satisfaire, plus les connaissances destinées à cette fin sont lentes à paraître. Quels progrès la médecine n’aurait-elle pas faits aux dépens des sciences dépure spéculation, si elle était aussi certaine que la géométrie ? mais il est encore d’autres caractères très-marqués dans la manière dont nos connaissances nous affectent et dans les différens jugemens que notre âme porte de ses idées. Ces jugemens sont désignés par les mots d’évidence, de certitude, de probabilité, de sentiment et de goût.

L’évidence appartient proprement aux idées dont l’esprit