Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/78

Cette page n’a pas encore été corrigée
40
DISCOURS PRÉLIMINAIRE

qu’on cherche les pointsde vue généraux qui peuvent servir à les discerner, on trouve que les unes, purement pratiques, ont pour but l’exécution de quelque chose ; que d’autres, simplement spéculatives, se bornent à l’examen de leur objet et à la contemplation de ses propriétés ; qu’enfin d’autres tirent de l’étude spéculative de leur objet l’usage qu’on en peut faire dans la pratique. La spéculation et la pratique constituent la principale différence qui distingue les sciences d’avec les arts ; et c’est à peu près en suivant cette notion qu’on a donné l’un ou l’autre nom à chacune de nos connaissances. Il faut cependant avouer que nos idées ne sont pas encore bien fixées sur ce sujet. On ne sait souvent quel nom donner à la plupart des connaissances oii la spéculation se réunit à la pratique ; et l’on disjiute, par exemple, tous les jours dans les écoles, si la logique est un art ou une science : le problème serait bientôt résolu, en répondant qu’elle est à la fois l’une et l’autre. Qu’on s’épargnerait de questions et de peines si on déterminait enfin la signification des mots d’une manière nette et précise !

On peut en général donner le nom à’arts à tout système de connaissances qu’il est permis de réduire à des règles positives, invariables et indépendantes du caprice ou de l’opinion ; et il serait permis de dire en ce sens, que plusieurs de nos sciences sont des arts, étant envisagées par leur côté pratique. Mais comme il y a des règles pour les opérations de l’esprit ou de l’âme, il y en a aussi pour celles du corps, c’est-à-dire, pour celles qui, bornées aux corps extérieurs, n’ont besoin que de la main seule pour être exécutées. De là la distinction des arts en libéraux et en mécaniques, et la supériorité qu’on accorde aux premiers sur les seconds. Cette supériorité est sans doute injuste à plusieurs égards. Néanmoins, parmi les préjugés, tout ridicules qu’ils peuvent être, il n’en est point qui n’ait sa raison, ou, pour parler plus exactement, son origine ; et la philosophie, souvent impuissante pour corriger les abus, peut au moins en démêler la source. La force du corps ayant été le premier principe qui a rendu inutile le droit que tous les hommes avaient d’être égaux, les plus faibles dont le nombre est toujours le plus grand, se sont joints ensemble pour la réprimer. Ils ont donc établi par le secours des lois et des différentes sortes de gouvernemens, une inégalité de convention dont la force a cessé d’être le principe. Cette dernière inégalité étant bien affermie, les hommes, en se réunissant avec raison pour la conserver, n’ont pas laissé de réclamer secrètement contre elle, par ce désir de supériorité que rien n’a pu détruire en eux. Ils ont donc cherché une sorte de dédommagement dans une inégalité moins arbitraire ;