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DE L’ENCYCLOPÉDIE.

Enfin la musique, qui parle à la fois à l’imagination et aux sens, tient le dernier rang dans l’ordre de l’imitation : non que son imitation soit moins parfaite dans les objets qu’elle se propose de représenter, mais parce qu’elle semble bornée jusqu’ici à un plus petit nombre d’images ; ce qu’on doit moins attribuer à sa nature qu’à trop peu d’invention et de ressources dans la plupart de ceux qui la cultivent. Il ne sera pas inutile de faire sur cela quelques réflexions. La musique qui, dans son origine, n’était peut-être destinée à représenter que du bruit, est devenue peu à peu une espèce de discours et même de langue, par laquelle on exprime les différens sentimens de l’âme, ou plutôt ses différentes passions : mais pourquoi réduire cette expression aux passions seules, et ne pas l’étendre, autant qu’il est possible, jusqu’aux sensations mêmes ? Quoique les perceptions que nous recevons par divers organes diffèrent entre elles autant que leurs objets, on peut néanmoins les comparer sous un autre point de vue qui leur est commun, c’est-à-dire par la situation de plaisir ou de trouble où elles mettent notre âme. Un objet effrayant, un bruit terrible, produisent chacun en nous une émotion par laquelle nous pouvons, jusqu’à un certain point, les rapprocher, et que nous désignons souvent dans l’un et l’autre cas, ou par le même nom, ou par des noms synonymes. Je ne vois donc point pourquoi un musicien, qui aurait à peindre un objet effrayant, ne pourrait pas y réussir en cherchant dans la nature l’espèce de bruit qui peut produire en nous l’émotion la plus semblable à celle que cet objet y excite. J’en dis autant des sensations agréables. Penser autrement ce serait vouloir resserrer les bornes de l’art et de nos plaisirs. J’avoue que la peinture dont il s’agit exige une étude fine et approfondie des nuances qui distinguent nos sensations ; mais aussi ne faut-il pas espérer que ces nuances soient démêlées par un talent ordinaire. Saisies par l’homme de génie, senties par l’homme de goût, aperçues par l’homme d’esprit, elles sont perdues pour la multitude. Toute musique qui ne peint rien, n’est que du bruit ; et sans l’habitude qui dénature tout, elle ne ferait guère plus de plaisir qu’une suite de mots harmonieux et sonores dénués d’ordre et de liaison. Il est vrai qu’un musicien attentif à tout peindre, nous présenterait dans plusieurs circonstances des tableaux d’harmonie qui ne seraient point faits pour des sens vulgaires ; mais tout ce qu’on en doit conclure, c’est qu’après avoir fait un art d’apprendre la musique, on devrait bien en faire un de l’écouter.

Nous terminerons ici l’énumération de nos principales connaissances. Si on les envisage maintenant toutes ensemble, et