Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/70

Cette page n’a pas encore été corrigée
32
DISCOURS PRÉLIMINAIRE

la même idée simple et individuelle, puisqu’on ne saurait avoir l’une sans que les autres se présentent toutes en même temps ? Nous devons, Comme l’ont observé quelques philosophes, bien des erreurs à l’abus des mots ; c*est peut-être à ce même abus que nous devons les axiomes. Je ne prétends point cependant en condamner absolument l’usage : je veux seulement faire observer à quoi il se réduit ; c’est à nous rendre les idées simples plus familières par l’habitude, et plus propres aux différens usages auxquels nous pouvons les appliquer. J’en dis à peu près autant, quoiqu’avec les restrictions convenables, des théorèmes mathématiques. Considérés sans préjugé, ils se réduisent à un assez petit nombre de vérités primitives. Qu’on examine une suite de propositions de géométrie déduites les unes des autres, en sorte que deux propositions voisines se touchent immédiatement et sans aucun intervalle, on s’apercevra qu’elles ne sont toutes que la première proposition qui se défigure, pour ainsi dire, successivement et peu à peu dans le passage d’une conséquence à la suivante, mais qui pourtant n’a point été réellement multipliée par cet enchaînement, et n’a fait que recevoir différentes formes. C’est à peu près comme si on voulait exprimer cette proposition par le moyen d’une langue qui se serait insensiblement dénaturée, et qu’on l’exprimât successivement de diverses manières, qui représentassent les différens états par lesquels la langue a passé. Chacun de ces états se reconnaîtrait dans celui qui en serait immédiatement voisin ; mais dans un état plus éloigné, on ne le démêlerait plus, quoiqu’il fut toujours dépendant de ceux qui l’auraient précédé, et destiné à transmettre les mêmes idées. On peut donc regarder l’enchaînement de plusieurs vérités géométriques, comme des traductions plus ou moins différentes et plus ou moins compliquées de la même proposition, et souvent de la même hypothèse. Ces traductions sont au reste fort avantageuses par les divers usages qu’elles nous mettent à portée de faire du théorème qu’elles expriment ; usages plus ou moins estimables à proportion de leur importance et de leur étendue. Mais en convenant du mérite réel de la traduction mathématique d’une proposition, il faut reconnaître aussi que ce mérite réside originairement dans la proposition même. C’est ce qui doit nous faire sentir combien nous sommes redevables aux génies inventeurs, qui, en découvrant quelqu’une de ces vérités fondamentales, source, et pour ainsi dire, original d’un grand nombre d’autres, ont réellement enrichi la géométrie, et étendu son domaine.

Il en est de même des vérités physiques et des propriétés des corps dont nous apercevons la liaison. Toutes ces propriétés bien