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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

de retendue et de la grandeur. Entre ces deux termes est un intervalle immense, où l’intelligence suprême semble avoir voulu se jouer de la curiosité humaine, tant par les nuages qu’elle y a répandus sans nombre, que par quelques traits de lumière qui semblent s’échapper de distance en distance pour nous attirer. On pourrait comparer l’univers à certains ouvrages d’une obscurité sublime, dont les auteurs, en s’abaissant quelquefois à la portée de celui qui les lit, cherchent à lui persuader qu’il entend tout à peu près. Heureux donc, si nous nous engageons dans ce labyrinthe, de ne point quitter la véritable route ! autrement les éclairs destinés à nous y conduire ne serviraient souvent qu’à nous en écarter davantage.

Il s’en faut bien d’ailleurs que le petit nombre de connaissances certaines sur lesquelles nous pouvons compter, et qui sont, si on peut s’exprimer de la sorte, reléguées aux deux extrémités de l’espace dont nous parlons, soit suffisant pour satisfaire à tous nos besoins. La nature de l’homme, dont l’étude est si nécessaire, est un mystère impénétrable à l’homme même, quand il n’est éclairé que par la raison seule ; et les plus grands génies, à force de réflexions sur une matière si importante, ne parviennent que trop souvent à en savoir un peu moins que le reste des autres hommes. On peut en dire autant de notre existence présente et future, de l’essence de l’Être auquel nous la devons, et du genre de culte qu’il exige de nous.

Rien ne nous est donc plus nécessaire qu’une religion révélée qui nous instruise sur tant de divers objets. Destinée à servir de supplément à la connaissance naturelle, elle nous montre une partie de ce qui nous était caché ; mais elle se borne à ce qu’il nous est absolument nécessaire de connaître : le reste est fermé pour nous, et apparemment le sera toujours. Quelques vérités à croire, un petit nombre de préceptes à pratiquer, voilà à quoi la religion révélée se réduit : néanmoins, à la faveur des lumières qu’elle a communiquées au monde, le peuple même est plus ferme et plus décidé sur un grand nombre de questions intéressantes, que ne l’ont été toutes les sectes des philosophes.

À l’égard des sciences mathématiques, qui constituent la seconde des limites dont nous avons parlé, leur nature et leur nombre ne doivent point nous en imposer. C’est à la simplicité de leur objet qu’elles sont principalement redevables de leur certitude. Il faut même avouer que comme toutes les parties des mathématiques n’ont pas un objet également simple, aussi la certitude proprement dite, celle qui est fondée sur des principes nécessairement vrais et évidens par eux-mêmes, n’appartient ni également ni de la même manière à toutes ces parties. Plusieurs