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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

gardé comme le principe. En effet, plus on diminue le nombre des principes d’une science, plus on leur donne d’étendue ; puisque l’objet d’une science étant nécessairement déterminé, les principes appliqués à cet objet seront d’autant plus féconds qu’ils seront en plus petit nombre. Cette réduction, qui les rend d’ailleurs plus faciles à saisir, constitue le véritable esprit systématique, qu’il faut bien se garder de prendre pour l’esprit de système avec lequel il ne se rencontre pas toujours. Nous en parlerons plus au long dans la suite.

Mais à proportion que l’objet qu’on embrasse est plus ou moins difficile et plus ou moins vaste, la réduction dont nous parlons est plus ou moins pénible ; on est donc aussi plus ou moins en droit de l’exiger de ceux qui se livrent à l’étude de la nature. L’aimant, par exemple, un des corps qui a été le plus étudié, et sur lequel on a fait des découvertes si surprenantes, a la propriété d’attirer le fer, celle de lui communiquer sa vertu, celle de se tourner vers les pôles du monde, avec une variation qui est elle-même sujette à des règles, et qui n’est pas moins étonnante que ne le serait une direction plus exacte ; enfin la propriété de s’incliner en formant avec la ligne horizontale un angle plus ou moins grand, selon le lieu de la terre où il est placé. Toutes ces propriétés singulières, dépendantes de la nature de l’aimant, tiennent vraisemblablement à quelque propriété générale, qui en est l’origine, qui jusqu’ici nous est inconnue, et peut-être le restera long-temps. Au défaut d’une telle connaissance, et des lumières nécessaires sur la cause physique des propriétés de l’aimant, ce serait sans doute une recherche bien digne d’un philosophe, que de réduire, s’il était possible, toutes ces propriétés à une seule, en montrant la liaison qu’elles ont entre elles. Mais plus une telle découverte serait utile aux progrès de la physique, plus nous avons lieu de craindre qu’elle ne soit refusée à nos efforts. J’en dis autant d’un grand nombre d’autres phénomènes dont l’enchaînement tient peut-être au système général du monde.

La seule ressource qui nous reste donc dans une recherche si pénible, quoique si nécessaire, et même si agréable, c’est d’amasser le plus de faits qu’il nous est possible, de les disposer dans l’ordre le plus naturel, de les rappeler à un certain nombre de faits principaux dont les autres ne soient que des conséquences. Si nous osons quelquefois nous élever plus haut, que ce soit avec cette sage circonspection qui sied si bien à une vue aussi faible que la nôtre.

Tel est le plan que nous devons suivre dans cette vaste partie de la physique, appelée physique générale et expérimentale.