Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/64

Cette page n’a pas encore été corrigée
26
DISCOURS PRÉLIMINAIRE

d’être fort utiles toutes les fois qu’il ne sera point nécessaire d’avoir e’gard à l’impénétrabilité des coi’ps ; par exemple, lorsqu’il sera question d’étudier leur mouvement, en les considérant comme des parties de l’espace, figurées, mobiles, et distantes les unes des autres.

L’examen que nous faisons de l’étendue figurée nous présentant un grand nombre de combinaisons à faire, il est nécessaire d’inventer quelque moyen qui nous rende ces combinaisons plus faciles ; et comme elles consistent principalement dans le calcul et le rapport des différentes parties dont nous imaginons que les corps géométriques sont formés, cette recherche nous conduit bientôt à l’arithmétique ou science des nombres. Elle n’est autre chose que l’art de trouver d’une manière abrégée l’expression d’un rapport unique qui résulte de la comparaison de plusieurs autres. Les différentes manières de comparer ces rapports donnent les différentes règles de l’arithmétique.

De plus, il est bien difficile qu’en réfléchissant sur ces règles, nous n’apercevions pas certains principes ou propriétés générales des rapports, par le moyen desquelles nous pouvons, en exprimant ces rapports d’une manière universelle, découvrir les différentes combinaisons qu’on en peut faire. Les résultats de ces combinaisons, réduits sous une forme générale, ne seront en effet que des calculs arithmétiques indiqués, et représentés par l’expression la plus simple et la plus courte que puisse souffrir leur état de généralité. La science ou l’art de désigner ainsi les rapports est ce qu’on nomme algèbre. Ainsi quoiqu’il n’y ait proprement de calcul possible que par les nombres, ni de grandeur mesurable que l’étendue (car sans l’espace nous ne pourrions mesurer exactement le temps), nous parvenons, en généralisant toujours nos idées, à cette partie principale des mathématiques, et de toutes les sciences naturelles, qu’on appelle science des grandeurs en général ; elle est le fondement de toutes les découvertes qu’on peut faire sur la quantité, c’est-à-dire, sur tout ce qui est susceptible d’augmentation ou de diminution.

Cette science est le terme le plus éloigné où la contemplation des propriétés de la matière puisse nous conduire, et nous ne pourrions aller plus loin sans sortir tout-à-fait de l’univers matériel. Mais telle est la marche de l’esprit dans ses recherches, qu’après avoir généralisé ses perceptions jusqu’au point de ne pouvoir plus les décomposer davantage, il revient ensuite sur ses pas, recompose de nouveau ces perceptions mêmes, et en forme peu à peu et par gradation les êtres réels qui sont l’objet immédiat et direct de nos sensations. Ces êtres, immédiatement relatifs à nos besoins ^ sont aussi ceux qu’il nous importe le plus