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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

avec profusion à nos plaisirs : c’est une espèce de superflu, qui supplée, quoique très-imparfaitement, à ce qui nous manque-De plus, dans l’ordre de nos besoins et des objets de nos passions, le plaisir tient une des premières places, et la curiosité est un besoin pour qui sait penser, surtout lorsque ce désir inquiet est animé par une sorte de dépit de ne pouvoir entièrement se satisfaire. Nous devons donc un grand nombre de connaissances simplement agréables à l’impuissance malheureuse oîi nous sommes d’acquérir celles qui nous seraient d’une plus grande nécessité. Un autre motif sert à nous soutenir dans un pareil travail ; si l’utilité n’en est pas l’objet, elle peut en être au moins le prétexte. Il nous suffit d’avoir trouvé quelquefois un avantage réel dans certaines connaissances, où d’abord nous ne l’avions pas soupçonné, pour nous autoriser à regarder toutes les recherches de pure curiosité comme pouvant un jour nous être utiles. Voilà l’origine et la cause des progrès de cette vaste science, appelée en général physique ou étude de la nature, qui comprend tant de parties diiférentes : l’agriculture et la médecine, qui l’ont principalement fait naître, n’en sont plus aujourd’hui que des branches. Aussi, quoique les plus essentielles et les premières de toutes, elles ont été plus ou moins en honneur à proportion qu’elles ont été plus ou moins étouffées et obscurcies par les autres.

Dans cette étude que nous faisons de la nature, en partie par nécessité, en partie par amusement, nous remarquons que les corps ont un grand nombre de propriétés, mais tellement unies pour la plupart dans un même sujet, qu’afin de les étudier chacune plus à fond, nous sommes obligés de les considérer séparément. Par cette opération de notre esprit, nous découvrons bientôt des propriétés qui paraissent appartenir à tous les corps, comme la faculté de se mouvoir ou de rester en repos, et celle de se communiquer du mouvement, source des principaux changemens que nous observons dans la nature. L’examen de ces propriétés, et surtout de la dernière, aidé par nos propres sens, nous fait bientôt découvrir une autre propriété dont elles dépendent ; c’est l’impénétrabilité ou cette espèce de force par laquelle chaque corps en exclut tout autre du lieu qu’il occupe, de manière que deux corps rapprochés le plus qu’il est possible, ne peuvent jamais occuper un espace moindre que celui qu’ils remplissaient étant désunis. L’impénétrabilité est la propriété principale par laquelle nous distinguons les corps des parties de l’espace indéfini oii nous imaginons qu’ils sont placés ; du moins c’est ainsi que nos sens nous font juger, et s’ils nous trompent sur ce point, c’est une erreur si métaphysique, que notre existence et notre conservation n’ea ont rien à craindre, et que nous.