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tenir des droits purement humains, et souvent mal fondés ; que le fils de Charlemagne a subi deux fois consécutives, en esclave plutôt qu’en chrétien, l’ignominie d’une pénitence publique dont quelques évêques osaient le charger, et qu’il ne méritait que par la bassesse qu’il avait de s’y soumettre[1] ; qu’un concile œcuménique, dans un siècle de servitude et d’ignorance, n’a osé réclamer ouvertement contre l’entreprise d’un pontife audacieux, qui se croit en droit de priver un empereur de son patrimoine[2] ; qu’un de nos rois, voulant expier le crime d’avoir brûlé treize cents personnes dans une église, faisait vœu d’en aller égorger cent mille en Syrie pour faire pénitence[3] ; que

  1. En 822 et 823, Louis, qu’on appelle le Débonnaire, et qu’on ferait mieux d’appeler le Faible, se soumit à la pénitence publique à Attigny et à Soissons ; la première fois pour avoir fait mourir Bernard son neveu, qui s’était révolté contre lui ; la seconde, pour n’avoir pas voulu recevoir la loi de ses enfans. Les évêques qui lui imposèrent cette pénitence, dit Fleury, prétendirent qu’il ne lui était pas permis de reprendre la dignité royale. S. Ambroise ne tira pas de telles conséquences de la pénitence de Théodose ; dira-t-on que ce grand saint manquait de courage pour faire valoir l’autorité de l’Église, ou qu’il fut moins éclairé que les évêques français du neuvième siècle ? Ces évêques bien plus hardis se déclarèrent contre Louis le Débonnaire pour ses enfans, et les animèrent à cette guerre civile qui ruina l’Empire français. Les prétextes spécieux ne leur manquaient pas : Louis était un prince faible, gouverné par sa femme, tout l’Empire était en désordre ; mais il fallait prévoir les conséquences, et ne pas prétendre mettre en pénitence un souverain comme un simple moine.

    Les deux pénitences de Louis le Débonnaire, surtout la seconde, que ce faible et malheureux empereur méritait le moins, furent accompagnées des circonstances les plus humiliantes pour lui. Ebbon, archevêque de Reims, qui avait osé avilir son maître, fut déposé l’année d’après, mais l’empereur était déshonore.

  2. En 1245, au premier concile général de Lyon, le pape Innocent IV déposa publiquement, en présence du concile, l’empereur Frédéric II, tous les Pères tenant un cierge allumé ; ce que les écrivains protestans ont très-injustement regardé comme une espèce d’approbation tacite, puisqu’il est constant, comme le remarque Fleury, que celle déposition ne fut pas faite avec l’approbation du concile, ainsi que les autres décrets. Mais, disent les protestans, pourquoi ce cierge et ce silence ? On a répondu à cette objection, qu’en effet la plus grande partie des ecclésiastiques étaient alors dans l’opinion presque générale du pouvoir des papes sur le temporel des rois, mais que Dieu n’a pas permis que cette opinion fut confirmé par le suffrage positif d’un concile œcuménique ; et que le silence de l’Église assemblée n’est pas toujours une marque d’approbation, surtout dans les matières qui ne regardent pas expressément la foi.
  3. On sait combien l’abbé Suger, aussi grand homme d’État que l’abbé de Clairvaux était grand orateur, s’opposa à cette croisade malheureuse que Louis le Jeune entreprit par le conseil de S. Bernard. L’événement justifia les craintes du ministre, et démentit les promesses du prédicateur. Louis le Jeune s’était croisé pour conquérir la Palestine, et en chasser les Sarrasins ; son expédition se borna à chasser sa femme à son retour, et à perdre en conséquence le Poitou et la Guyenne. En vain S. Bernard voulut se justifier, en