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l’un l’autre avec plus de fureur et de scandale. Un exemple frappant et récent sera la preuve affligeante de ce que nous avançons. Il a paru l’année dernière un ouvrage fameux par le grand nombre d’éditions et de critiques qui en ont été faites, et que nous condamnons avec l’auteur dans ce qu’on y a trouvé de répréhensible. Les journalistes de Trévoux, qui depuis l’espèce de signal dont nous venons de parler, sont en possession de crier à l’irréligion sur ce qui le mérite et ne le mérite pas, ont fait, dans leur style dogmatique et bourgeois, une sortie très-vive sur cet ouvrage, jusqu’à chercher même à rabaisser les talens de l’auteur ; sur ce dernier article, à la vérité, ils permettent qu’on ne soit pas de leur avis ; les matières de goût et de philosophie sont un genre profane où ils n’osent se piquer d’être infaillibles ; la théologie est un peu de leur compétence ; encore est-ce un domaine que bien des gens leur disputent. Quoi qu’il en soit, ces journalistes jouissaient paisiblement de leur victoire, lorsqu’un écrivain périodique et clandestin, leur ennemi déclaré bien plus encore que des incrédules, est venu à la charge à son tour contre le même livre, déjà si vivement et si longuement attaqué. Mais les traits de ce nouvel athlète portent beaucoup moins sur l’ouvrage que sur les journalistes ses premiers adversaires. Voilà, s’écrie-t-il, le fruit de la morale abominable des casuistes ; voilà la doctrine des Casnedis, des Tambourins, des Berruyers et de leurs confrères, consacrée dans cette production pernicieuse. Et les gens raisonnables se sont écriés à leur tour, voilà les confrères des Casnedis, des Tambourins et des Berruyers, bien décemment récompensés de leur zèle, et la religion vengée d’une manière bien édifiante. En effet, puisqu’un des deux critiques accuse l’autre d’être dans les principes de l’auteur censuré, il faut nécessairement qu’un des deux soit de mauvaise foi ; nous ne pensons point à les en taxer en commun , et à décider leur querelle comme le procès du loup et du renard par devant le singe.

XXVII. Quand on voit l’auteur d’un libelle vingt fois flétri par les magistrats déclamer contre les incrédules, on croit voir Calvin qui fait brûler Servet. Mais les fanatiques sont toujours austères. En accusant d’irréligion celui qui ne pense pas comme eux, ils se donnent un air de zèle qui sied toujours bien à des hommes de parti ; ils ont la satisfaction de calomnier le gouvernement, trop indifférent, selon eux, sur ce qu’ils appellent la cause de Dieu, et qui n’est réellement que la leur. Cependant on osera le dire avec confiance ; si l’on doit punir davantage ceux qui nuisent le plus au christianisme, les fanatiques ont