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IX. Quelques écrivains, ont avancé que la notion développée et distincte de la création, ne se trouvait ni dans l’ancien, ni dans le nouveau Testament ; ou a attaqué cette assertion comme impie ; il eût été plus naturel de la discuter par l’examen des passages même, et l’examen n’en devrait pas être difficile. Mais quelque parti qu’on prenne sur ce point de fait, il me semble que la foi n’en a rien à craindre ; ceci a besoin d’explication. La création, comme les théologiens eux-mêmes le reconnaissent, est une vérité que la seule raison nous enseigne, une suite nécessaire de l’existence du premier Être. Cette notion est donc du nombre de celles que la révélation suppose, et sur lesquelles il n’était pas besoin qu’elle s’expliquât d’une manière expresse et particulière. Il suffit que les livres saints n’affirment rien de contraire ; c’est de quoi on ne les a jamais accusés. Et quand même, comme on l’a prétendu, quelques anciens Pères de l’Église ne se seraient pas assez clairement exprimés sur ce même sujet de la création, serait-ce une raison pour supposer qu’ils ont cru la matière éternelle ?

X. L’opinion qu’on a attribuée à deux ou trois Pères de l’Église sur la nature de l’âme, a excité les mêmes clameurs et mérite la même réponse. Si on en croit différens critiques, ces Pères n’ont pas eu sur la spiritualité du principe pensant des idées bien distinctes, et paraissent l’avoir fait matériel. La prétention bien ou mal fondée de ces critiques a suffi pour les faire accuser du matérialisme qu’ils attribuaient à d’autres ; car le matérialisme est aujourd’hui le monstre qu’on voit partout, l’hydre à sept têtes qu’on veut combattre. Mais quand un ou deux écrivains ecclésiastiques auraient été dans cette erreur, ce que nous ne prétendons pas décider, qu’importe cette erreur à la religion ? Les preuves purement philosophiques de la spiritualité de l’âme

    de l’existence de Dieu, ou à la nier, qu’autant que cette existence est établie sur des preuves convaincantes, puisque l’Être suprême ne peut rien exiger de nous au-delà des lumières qu’il nous a données. Il est d’ailleurs évident que la croyance d’un Dieu, appuyée sur des motifs d’intérêt ou de crainte, ne remplirait pas ce que nous devons au Créateur. Ainsi la gageure de Pascal ne peut être dans cette grande question qu’un argument préparatoire, et non pas un argument direct. C’est ce qui n’a pas été assez distingué, ce me semble, par plusieurs métaphysiciens.

    Quelques écrivains ont voulu appliquer cet argument au christianisme : On ne risque rien à croire, disent ils ; ainsi c’est le parti le plus sage. Je ne voudrais pas, à leur exemple, employer cet argument ; car l’on a déjà prouvé la vérité du christianisme, et alors l’argument est inutile, ou on ne l’a pas encore prouvée, et pour lors l’incrédule est suppose douter encore si la religion chrétienne est la vraie, ce qui est nécessaire pour qu’il soit sûr de la suivre, puisqu’il ne peut y avoir, suivant les théologiens, qu’une espèce de culte agréable au souverain Être.