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més après lui quelques uns de ses sectateurs. Cette proposition, qu’on a regardée comme injurieuse à Dieu, est peut-être ce que la philosophie a jamais dit de plus relevé à la gloire de l’Etre suprême ; une pensée si profonde et si grande n’a pu partir que d’un génie vaste, qui d’un côté sentait la nécessité d’une intelligence toute-puissante pour donner l’existence et l’impulsion, à la matière, et qui apercevait de l’autre la simplicité et la fécondité non moins admirable des lois du mouvement ; lois en vertu desquelles le Créateur a renfermé tous les événemens dans le premier comme dans leur germe, et n’a eu besoin pour les produire que d’une parole, selon l’expression si sublime de l’Ecriture. Voilà tout ce que la proposition de Descartes signifie pour qui la veut entendre ; mais les ennemis de la raison, qui n’aperçoivent qu’en petit les ouvrages du souverain Etre et qui lui rendent un hommage étroit, pusillanime, et borné comme eux, n’ont vu dans l’hommage plus grand et plus pur du philosophe, qu’un orgueilleux fabricateur de systèmes, qui semblait vouloir se mettre à la place de la divinité.

VI. Les newtoniens admettent le vide et l’attraction ; c’était à peu près la physique d’Epicure ; or ce philosophe était athée ; les newtoniens le sont donc aussi ; telle est la logique de quelques uns de leurs adversaires. Il est pourtant vrai qu’aucune philosophie n’est plus favorable que celle de Newton à la croyance d’un Dieu. Car comment les parties de la matière, qui par elle-même n’ont point d’action, pourraient-elles tendre les unes vers les autres, si cette tendance n’avait pour cause la volonté toute-puissante d’un souverain moteur ? Un Cartésien athée est un philosophe qui se trompe dans les principes ; un Newtonien athée serait encore quelque chose de pis, un philosophe inconséquent.

VII. Quand je levé les jeux vers le ciel, dit l’impie, j’y crois voir des traces de la divinité ; mais quand je regarde autour de moi… Regardez au dedans de vous, peut-on lui répondre, et malheur à vous, si cette preuve ne vous suffit pas. Il ne faut en effet que descendre au fond de nous-mêmes, pour reconnaître en nous l’ouvrage d’une intelligence souveraine qui nous a donné l’existence et qui nous la conserve. Cette existence est un prodige qui ne nous frappe pas assez, parce qu’il est continuel ; il nous retrace néanmoins à chaque instant une puissance suprême de laquelle nous dépendons. Mais plus l’empreinte de son action est sensible en nous et dans ce qui nous environne, plus nous sommes inexcusables de la chercher dans des objets minutieux et frivoles. Un savant de nos jours, si persuadé de