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II. Dans la défense comme dans la recherche de la vérité, le premier devoir est d’être juste. Nous commencerons donc par avouer que les défenseurs de la religion ont quelque raison de craindre pour elle, autant néanmoins qu’on peut craindre pour ce qui n’est pas l’ouvrage des hommes. On ne saurait se dissimuler que les principes du christianisme sont aujourd’hui indécemment attaqués dans un grand nombre d’écrits. Il est vrai que la manière dont ils le sont pour l’ordinaire, est très-capable de rassurer ceux que ces attaques pourraient alarmer : le désir de n’avoir plus de frein dans les passions, la vanité de ne pas penser comme la multitude, ont bien plus fait d’incrédules que l’illusion des sophismes, si néanmoins on doit appeler incrédules ce grand nombre d’impies qui ne veulent que le paraître, et qui, selon l’expression de Montaigne, tâchent d’être pires qu’ils ne peuvent. Cette grêle de traits émoussés ou perdus, lancés de toutes parts contre le christianisme, a jeté l’effroi dans le cœur de nos plus pieux écrivains. Empressés de soutenir la cause et l’honneur de la religion, qu’ils croyaient en péril, parce qu’ils la voyaient outragée, ils ont été pour ainsi dire à la découverte de l’impiété dans tous les livres nouveaux ; et il faut avouer qu’ils y ont fait une moisson tristement abondante. Mais quelques uns d’entre eux, semblables à ces guerriers pleins de courage que l’ardeur entraîne au-delà des rangs, et qui par un faux mouvement prêtent le flanc à l’ennemi, ont porté dans leur zèle et dans leurs recherches une indiscrétion dangereuse à leur cause. Quand ils n’ont pas trouvé d’impiétés réelles, ils en ont forgé d’imaginaires pour avoir l’avantage de les combattre. Ils ont supposé des intentions au défaut des crimes ; ils ont accusé jusqu’au silence même. Sénateurs, disait autrefois un Romain, on m’attaque dans mes discours, tant je suis innocent dans mes actions ; quelques uns de nos philosophes pourraient dire à son exemple : on m’attaque dans mes pensées, tant je suis irréprochable dans mes discours. Denis, tyran de Syracuse, fit mourir un de ses sujets, qui avait conspiré contre lui en songe. Souvent il n’a manqué au faux zèle, pour porter l’injustice encore plus loin, que le crédit ou la puissance. Le tyran punissait les rêves ; les ennemis de la philosophie les supposent, demandent le sang des coupables, et peu s’en est fallu quelquefois qu’ils ne l’aient obtenu, à la honte de la raison et de l’humanité.

III. Rien n’a été plus commun dans tous les temps, que l’accusation d’irréligion intentée contre les sages par ceux qui ne le sont pas. Périclès eut à peine le crédit de sauver Anaxagore, accusé d’athéisme par les prêtres athéniens, pour avoir