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DE L’ENCYCLOPÉDIE.

tion de nos soins et de notre vigilance. Des réflexions si naturelles frapperont infailliblement tout homme abandonné à lui-même, et libre des préjugés, soit d’éducation, soit d’étude : elles seront la suite de la première impression qu’il recevra des objets ; et on peut les mettre au nombre de ces premiers mouvemens de l’âme, précieux pour les vrais sages, et dignes d’être observés par eux, mais négligés ou rejetés par la philosophie ordinaire, dont ils démentent presque toujours les principes.

La nécessité de garantir notre propre corps de la douleur et de la destruction, nous fait examiner, parmi les objets extérieurs, ceux qui peuvent nous être utiles ou nuisibles, pour rechercher les uns et fuir les autres. Mais à peine commençons-nous à parcourir ces objets, que nous découvrons parmi ^ux un grand nombre d’êtres qui nous paraissent entièrement semblables à nous, c’est-à-dire, dont la forme est toute pareille à la nôtre, et qui, autant que nous en pouvons juger au premier coup d’œil, semblent avoir les mêmes perceptions que nous : tout nous porte donc à penser qu’ils ont aussi les mêmes besoins que nous éprouvons, et par conséquent le même intérêt à les satisfaire ; d’oîi il résulte que nous devons trouver beaucoup d’avantage à nous unir avec eux pour démêler dans la nature ce qui peut nous conserver ou nous nuire. La communication des idées est le principe et le soutien de cette union, et demande nécessairement l’invention des signes ; telle est l’origine de la formation des sociétés avec laquelle les langues ont dû naître.

Ce commerce, que tant de motifs puissans nous engagent à former avec les autres hommes, augmente bientôt l’étendue de nos idées, et nous en fait naître de très-nouvelles pour nous, et de très-éloignées, selon toute apparence, de celles que nous aurions eues par nous-mêmes sans un tel secours. C’est aux philosophes à juger si cette communication réciproque, jointe à la ressemblance que nous apercevons entre nos sensations et celles de nos semblables, ne contribue pas beaucoup à former ce penchant invincible que nous avons à supposer l’existence de tous les objets qui nous frappent. Pour me renfermer dans mon sujet, je remarquerai seulement que l’agrément et l’avantago que nous trouvons dans un pareil commerce, soit à faire part de nos idées aux autres hommes, soit à joindre les leurs aux nôtres, doit nous porter à resserrer de plus en plus les liens de la société commencée, et à la rendre la plus utile pour nous qu’il est possible. Mais chaque membre de la société cherchant ainsi à augmenter pour lui-même l’utilité qu’il en retire, et ayant à combattre dans chacun des autres membres un empressement ; égal, tous ne peuvent avoir la même part aux avantages, quoi-