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DE LA LIBERTÉ

symphonies que dans nos chants. Plusieurs de celles de Rameau ne nous laissent rien à désirer. Parmi un grand nombre d’exemples que j’en pourrais rappeler ici, je me bornerai au ballet des fleurs dans les Indes galantes, dont les airs de danse si bien dialogues et si pittoresques forment la scène muette la plus expressive. Sur cette partie, les Italiens même sont moins riches que nous. Car je compte pour rien la quantité prodigieuse des sonates que nous avons d’eux. Toute cette musique purement instrumentale, sans dessein et sans objet, ne parle ni à l’esprit ni à l’âme, et mérite qu’on lui demande avec Fontenelle, sonate que me veux-tu ? Les auteurs qui composent de la musique instrumentale ne feront qu’un vain bruit, tant qu’ils n’auront pas dans la tête, à l’exemple, dit-on, du célèbre Tartini, une action ou une expression à peindre. Quelques sonates, mais en assez petit nombre, ont cet avantage si désirable, et si nécessaire pour les rendre agréables aux gens de goût. Nous en citerons une qui a pour titre Didone ahhandonata. C’est un très-beau monologue ; on y voit se succéder rapidement et d’une manière très-marquée, la douleur, l’espérance, le désespoir, avec des degrés et suivant des nuances différentes ; et on pourrait de cette sonate faire aisément une scène très-animée et très-pathétique. Mais de pareils morceaux sont rares. Il faut même avouer qu’en général on ne sent toute l’expression de la musique, que lorsqu’elle est liée à des paroles ou à des danses. La musique est une langue sans voyelles ; c’est à l’action à les y mettre. Il serait donc à souhaiter qu’il n’y eût dans nos opéras que des symphonies expressives, c’est-à-dire dont le sens et l’esprit fussent toujours indiqués en détail, ou par la scène, ou par l’action, ou par le spectacle ; que les airs de danse toujours liés au sujet, toujours caractérisés, et par conséquent toujours pantomimes, fussent dessinés par le musicien, de manière qu’il fût en état d’en donner pour ainsi dire la traduction d’un bout à l’autre, et que la danse fût exactement conforme à cette traduction ; qu’une symphonie qui aurait à peindre quelque grand objet, par exemple le mélange et la séparation des élémens, fût expliquée et développée au spectateur par une décoration convenable, dont le jeu et les mouvemens répondissent aux mouvemens analogues de la symphonie ; en un mot, que les yeux toujours d’accord avec les oreilles, servissent continuellement d’interprètes à la musique instrumentale.

XXXIX. Il est dans nos opéras un genre de symphonie sur lequel nous nous arrêterons un moment ; ce sont les ouvertures. Celles de Lully, toutes insipides, et jetées d’ailleurs au même