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proposition demande que nous entrions dans quelques détails sur le caractère des deux musiques, et sur la manière d’appliquer la musique italienne à notre langue.

XVI. Nous supposons, comme un fait qui n’a pas besoin d’être prouvé, la supériorité delà musique italienne sur la nôtre. On ne doute de cette vérité qu’en France, il n’y a plus même qu’une partie de la nation qui en doute, et les étrangers s’étonnent qu’elle en doute encore. Qu’on fasse ses délices de la musique française, tant qu’on n’en connaîtra point d’autre, rien n’est plus naturel et plus permis : mais que parmi ceux qui ont entendu ou plutôt écouté les deux musiques, il puisse y avoir deux avis sur la préférence, qu’il soit même possible de balancer, c’est ce qui doit paraître bien étrange à toute oreille tant soit peu délicate, et à toute âme tant soit peu sensible. En vain les partisans de la musique française, pour couvrir sa nullité et sa faiblesse, affectent de vanter le beau simple, qui en fait selon eux le caractère ; de ce que le beau est toujours simple, ils en concluent que le simple est toujours beau ; et ils appellent simple ce qui est froid et commun, sans force, sans âme , et sans idée.

XVII. Ce serait néanmoins être indigne de goûter la musique italienne, et incapable de la sentir, que d’applaudir sans discernement et sans choix à tout ce qui nous vient en ce genre d’au-delà des monts. Outre la foule de compositeurs médiocres qui abonde toujours dans un pays où la musique est fort cultivée, comme elle l’est en Italie, le bon goût, il faut l’avouer, y dégénère sensiblement. Pergolèse, trop tôt enlevé pour le progrès de l’art, a été le Raphaël de la musique italienne : il lui avait donné un style vrai, noble et simple, dont les artistes de sa nation s’écartent un peu trop aujourd’hui. Le beau siècle de cet art semble être en Italie sur son déclin, et le siècle de Sénèque et de Lucain commence à lui succéder. Quoiqu’on remarque encore dans la musique italienne moderne des beautés vraies et supérieures, l’art elle désir de surprendre s’y laisse voir trop souvent au préjudice de la nature et de la vérité. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les Italiens éclairés s’en aperçoivent eux-mêmes, et gémissent de cet abus. Mais il a sa source dans un défaut peut-être incurable ; l’amour excessif des Italiens pour la nouveauté en fait de musique. Le plus admirable opéra n’est jamais représenté deux fois sur le même théâtre, l’on préfère à l’Artaxerce de Vinci, à l’Olympiade de Pergolèse, les mêmes pièces mises en musique par un compositeur médiocre. Nous sommes tombés dans l’inconvénient contraire ; et nos musiciens les plus célèbres n’osent encore toucher aux opéras de Lully, comme nos ancêtres