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RÉFLEXIONS

§ VI. Examen d’une objection proposée par les adversaires de l’inoculation.

Quelques adversaires de l’inoculation ont fait contre elle un raisonnement qui, au premier coup d’œil, paraîtra spécieux. Depuis le 26 septembre 1745, ont-ils dit, jusqu’au 24 mars 1763, il est entré à l’hôpital de Londres pour là petite vérole, 6456 personnes malades de la petite vérole naturelle, dont 1634 sont mortes ; c est plus de 1 sur 4. Pendant le même temps on a inoculé dans ce même hôpital 3434 personnes, dont 10 seulement sont mortes ; le total des malades de la petite vérole naturelle relie et de l’artificielle est de 9890 ; et le total des morts est de 1644 » c’est-à-dire de 1 sur 6 à 7. Or avant l’inoculation la mortalité totale de la petite vérole n’était que de 1 sur 7 à 8 ; donc, concluent les adversaires de l’inoculation, cette opération est plus destructive du genre humain que si on laissait agir la nature seule.

À ce raisonnement, voici ce qu’on doit répondre. 1o. Si depuis quelques années la petite vérole est devenue plus meurtrière à Londres, c’est par des causes étrangères à l’inoculation, entre autres par l’usage immodéré que le peuple y fait plus que jamais des liqueurs fortes. 2o. Les 6456 malades de la petite vérole naturelle, portés à l’hôpital de Londres, se trouvaient dans le cas d’un danger encore plus grand que celui auquel on est déjà sujet dans cette maladie ; non-seulement, à ce qu’assure le Journal de Médecine, d’avril 1765, la plupart étaient adultes, et par conséquent dans l’âge où la petite vérole naturelle est le plus à craindre, mais un très-grand nombre s’était fait porter à l’hôpital après avoir commis de grandes fautes dans le régime, et souvent même lorsqu’il n’était plus temps de faire des remèdes.

Le calcul suivant fera voir, ce me semble, que c’est en effet à ces deux causes qu’il faut attribuer la grande mortalité de la petite vérole à l’hôpital de Londres. Pour que l’inoculation n’eût produit ni bien ni mal, d’après le raisonnement que nous examinons, il faudrait supposer que la mortalité des deux petites véroles prises ensemble n’eût été à l’hôpital de Londres que dans le rapport de 1 à 7 1/2, qu’on suppose avoir été autrefois à Londres celui de la petite vérole naturelle. Donc de 9890 malades, tant de la petite vérole naturelle que de l’inoculée, il aurait dû n’en mourir à cet hôpital que 1318. Il est donc mort, selon ce raisonnement, tant de la petite vérole naturelle que de J’inoculée, 3^6 personnes de plus que si on n’en eût inoculé aucune. Ainsi l’inoculation aurait porté malheur, qu’on nous