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SUR L’INOCULATION.

lier raisonnement que je me souviens d’avoir lu autrefois dans une dissertation sur les loteries ; dissertation non pas philosophique, mathématique encore moins, mais théologique, ou soidisant telle. Au lieu de beaucoup d’excellentes raisons qu’on peut apporter contre cette espèce de jeu, pour en détourner les citoyens sages, l’auteur appuie principalement sur un principe qu’il applique en général à tous les jeux de hasard, de quelque espèce qu’ils soient ; c’est que jouer à ces jeux, c’est tenter Dieu, et commettre par conséquent, suivant S. Paul, un grand péché ; d’où il résulte que c’est un grand péché que de jouer au doigt mouillé ou à la courte paille. Peut-on faire des préceptes de la religion un abus plus ridicule, et par conséquent plus condamnable ? C’est pourtant un grave janséniste, accrédité et considéré parmi les siens, qui fait de pareils raisonnemens, très-dignes à la vérité d’être accueillis et admirés dans son partie Il y a tout lieu de croire que ce théologien scrupuleux, qui craindrait si fort de tenter Dieu en jouant au trictrac, et qui ne craindrait peut-être pas de le tenter en se faisant donner des coups de bûche, ne serait pas favorable à l’inoculation ; et il faut avouer que c’est là un grand malheur pour elle.

La question de l’inoculation est sans doute bien plus du ressort de la Faculté de médecine que de celle de théologie ; mais dans les hypothèses que nous avons faites, je ne vois pas par quel motif la première de ces Facultés s’opposerait à cette opération, quand même elle serait beaucoup plus mortelle que nous ne l’avons supposé. Il suffit que dans ces hypothèses elle soit avantageuse à l’État, pour qu’aucun corps de l’Etat ne doive y mettre obstacle. Quand même il en résulterait quelques risques pour les particuliers, risques peu avérés jusqu’ici, comme nous le verrons plus bas, des médecins que l’État consulte sur ce qui est plus ou moins utile à la totalité de ses membres, doivent mettre cette considération à l’écart ; elle ne doit entrer que dans les réponses qu’ils pourront faire aux particuliers qui les consulteront ; et elle doit y entrer plus ou moins, suivant les circonstances où ces particuliers se trouvent, et suivant les lumières que peuvent avoir acquises les médecins qu’ils consultent.

§ XIV. Ou l’on détruit un fait très-faux avancé par les adversaires de l’inoculation.

En finissant cette seconde partie, je me crois obligé d’assurer la fausseté d’un fait avancé, dit-on, dans une brochure que je n’ai point lue. L’auteur de cette brochure prétend que le roi de