Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/536

Cette page n’a pas encore été corrigée
494
RÉFLEXIONS

enfans, n’est pas le seul droit que l’humanité réclame en leur faveur ; par malheur elle ne parle que trop vainement pour eux ; témoin la quantité énorme qui en périt faute de soins ; nous voulons cependant croire que par la triste fatalité des circonstances, et par le défaut de secours suffisans, on ne pourrait, avec toute la bonne volonté et toute la vigilance possible, les arracher à la mort ; mais on ne doit pas au moins les y livrer : les précautions préliminaires de l’inoculation doivent être les mêmes pour eux que pour les enfans les plus chers à leur famille. Ceux qui auraient la barbarie de penser autrement n’auraient pas l’audace de le dire.

§ XIII. Fatalité des objections théologiques contre la petite vérole artificielle.

En examinant les objections qu’on peut faire contre l’inoculation, dans l’hypothèse qu’elle puisse donner la mort, je n’ai pas parlé des objections purement théologiques, objections qui me paraissent devoir être mises absolument à l’écart, et auxquelles je trouve qu’on a fait trop d’honneur de s’occuper sérieusement à y répondre. Rien ne nuit plus à la religion, du moins auprès des esprits malintentionnés, que de la mêler dans les questions qui n’y ont aucun rapport. L’inoculation n’est pas plus du ressort de la théologie, que les matières de la prédestination et de la grâce ne sont du ressort de l’arithmétique et de la médecine. En supposant qu’on puisse mourir de l’inoculation, la question se réduit à celle-ci : voilà deux dangers, l’un présent, mais petit, l’autre plus grand, mais éloigné ; auquel des deux dois-je m’exposer de préférence ? C’est à chacun à résoudre ce problème comme il le juge à propos, sans avoir à craindre d’ofifenser Dieu, quelque parti qu’il prenne : car ce parti, quel qu’il soit, aura pour but de conserver le plus longtemps qu’il est possible la vie que le Créateur nous a donnée.

Convenons néanmoins que, dans la circonstance présente, l’État peut avoir des raisons plausibles de s’adresser à l’église, et d’exiger qu’elle donne son avis sur cet objet, ne fût-ce que pour calmer les scrupules des citoyens peu éclairés. Car elle ne manquera pas sans doute de les assurer, comme elle doit, que la question dont il s’agit n’est point de sa compétence. Aussi entre les théologiens qu’on a consultés là-dessus, les plus sages se sont contentés de répondre que ce qui concernait la santé du corps ne les regardait pas.

Je ne puis ni’empêcher à cette occasion, pour égayer la tristesse de cette matière, de faire part à mes lecteurs d’un singu-