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SUR L’INOCULATION.

§ XII. Du parti que l’État doit prendre sur l’inoculation.

Après avoir exposé les doutes qui peuvent rester aux particuliers sur les avantages de l’inoculation, dans l’hypothèse que cette opération puisse causer la mort, examinons le parti que l’Etat doit prendre dans cette même supposition.

Si l’inoculation peut donner la mort, l’État, comme nous l’avons vu, n’est pas en droit d’obliger les citoyens à s’y soumettre. Mais il doit encore moins les en empêcher, si, dans la supposition qu’elle puisse être nuisible à quelques personnes, elle prolonge en même temps, comme nous le supposons, la vie d’un beaucoup plus grand nombre. Car il est évident que dans cette supposition elle serait avantageuse à l’État, puisqu’elle augmenterait la population aux dépens de quelques victimes seulement qu’on n’aurait pas forcées à l’être : peut-être même serait-ce une politique bien entendue pour encourager l’inoculation, de promettre des marques d’honneur après leur mort à ces victimes volontaires, ou des récompenses à leur famille. La seule raison qui pourrait empêcher que l’inoculation n’obtînt cette faveur, ce serait la crainte bien ou mal fondée d’augmenter en ce cas par la contagion le nombre des petites véroles naturelles ; objection que nous examinerons dans la suite.

Abstraction faite pour un moment de cette dernière objection, et partant d’ailleurs des suppositions que nous avons faites, l’Etat doit-il consentir à l’établissement d’un hôpital tel que celui de Londres, où sur 300 victimes volontaires qui viendraient se dévouer à l’inoculation, il en périrait une ? Non-seulement l’État doit consentir à cet établissement, il doit même le favoriser de tout son pouvoir, parce que tout moyen de conserver la vie à plusieurs centaines de citoyens, doit être précieux à ceux qui gouvernent.

Enfin l’État doit-il se permettre, toujours dans les mêmes hypothèses, de faire pratiquer l’inoculation sur ces malheureux enfans, victimes du libertinage ou de l’indigence, qui n’ont de père que l’État ? Je crois que l’intérêt public le demande, et que l’humanité ne s’y oppose pas ; car on suppose que par cette opération on prolongerait la vie d’un grand nombre de ces chfans, qui tous sans distinction doivent être également chers et précieux à la patrie. Mais la même humanité exigerait qu’on ne soumîtàropération que ceuxsurquielleparaîtrait devoir réussir ; autrement ce serait imiter en partie ces lois barbares de Sparte, qui condamnaient à la mort des enfans nouveau-nés lorsqu’ils étaient estropiés ou malsains.

Au reste, la précaution qu’on demande ici en faveur de ces