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SUR L’INOCULATION.

entre eux sur les faits qui doivent servir de base à leurs raisonnemens ; la seconde, qu’il serait bien à souhaiter, pour constater ces faits, que, dans chaque pays et dans chaque ville, les médecins tinssent, avec toute l’exactitude et la bonne foi possible, des registres exacts des malades qu’ils traitent de la petite vérole, de leur tempérament, de leur âge, et du sort qu’ils auraient eu par cette maladie : ces registres, donnés au public par les Facultés de médecine ou par les particuliers, seraient certainement d’une utilité plus palpable et plus prochaine, que les recueils d’observations météorologiques publiés avec tant de soin par nos Académies depuis 70 ans, et qui pourtant, à certains égards, ne sont pas eux-mêmes sans utilité.

§ IX. À quelles personnes l’inoculation doit surtout être utile, si elle l’est réellement en elle-même.

Ce qui paraît incontestable, c’est que la petite vérole est plus dangereuse à Paris, au moins pour une certaine classe de personnes, que ne le prétendent quelques adversaires de l’inoculation. Dans un mémoire publié depuis peu, on assure que de 100 jeunes demoiselles attaquées à Saint-Cyr de cette maladie en 1764, il n’en est mort qu’une seule ; mais que conclure de cet exemple ? tout au plus qu’il y a des années oii la petite vérole est extrêmement bénigne, surtout pour des enfans qui n’ont point encore le sang altéré par les veilles, par l’intempérance, par les chagrins, par les passions : peut-être par ces mêmes raisons la petite vérole n’est-elle pas fort à craindre pour les gens du peuple, dont la vie simple et frugale doit moins détruire le tempérament ; mais peut-on nier que cette maladie ne soit très-redoutable à Paris pour ce qu’on appelle les gens du monde, que l’aisance et l’oisiveté invitent et livrent à une vie molle, déréglée, et très-contraire au bon état de l’économie animale ? Quand quelqu’une de ces personnes, qu’on appelle connues, est attaquée de la petite vérole, c’est une nouvelle qui n’est pas ignorée de tous ceux qui vivent dans le monde ; or j’en appelle à la voix publique ; combien n’est-il pas ordinaire d’entendre dire que ces personnes qu’on a su malades de la petite vérole, en sont mortes ? Je crois que quand on avancerait que ce malheur arrive à un sur quatre, on ne se tromperait pas beaucoup ; il est vraisemblable, je l’avoue, que dans la plupart des autres états de la société, la petite vérole est beaucoup moins meurtrière ; aussi suis-je persuadé que si l’inoculation est réellement avantageuse, c’est principalement aux gens du monde, aux personnes de la cour, aux citoyens aisés ou opu-