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AVERTISSEMENT.

vices et des vertus morales a précédé dans les païens la connaissance du vrai Dieu ; d’avoir dispensé l’homme de ses devoirs envers l’Être suprême, quoique je parle à plusieurs reprises de ses devoirs ; d’avoir regardé les corps comme cause efficiente de nos sensations, quoique j’aie dit expressément qu’ils n’ont avec nos sensations aucun rapport ; d’avoir cru que la spiritualité de l’âme et l’existence de Dieu étaient des vérités assez claires pour ne demander que des preuves très-courtes ; de n’avoir point parlé assez au long de la religion chrétienne, dont je pouvais même me dispenser de parler absolument, puisqu’elle est d’un ordre supérieur au système encyclopédique des connaissances humaines ; d’avoir dégradé la religion naturelle, en avançant que la connaissance qu’elle nous donne de Dieu et de nos devoirs est fort imparfaite ; d’avoir dégradé en même temps la révélation, pour avoir accordé aux théologiens la faculté de raisonner ; d’avoir enfin admis avec Pascal (qui devrait pourtant être une grande autorité pour mon adversaire) des vérités qui, sans être opposées, vont les unes au cœur, et les autres à l’esprit ? Telles sont les objections que n’a pas rougi de me faire un journaliste plus orthodoxe peut-être que logicien, mais certainement plus malintentionné qu’orthodoxe. Pour y répondre, il suffit de les exposer, et de dire à ma nation ce que disait au peuple romain cet agriculteur accusé de maléfice : veneficia mea, Quirites, hœc sunt.

Il faut avouer que si dans le siècle où nous sommes, le ton d’irréligion ne coûte rien à quelques écrivains, le reproche d’irréligion ne coûte rien à quelques autres. Soyez chrétiens, pourrait-on dire à ces derniers, mais à condition que vous le serez assez pour ne pas accuser légèrement vos frères de ne le point être.

Il ne me reste plus qu’un mot à dire sur cet ouvrage. Quelques personnes ont affecté de répandre, à la vérité sourdement, et sans preuves, que le plan m’avait été fourni par les ouvrages du chancelier Bacon. Un court éclaircissement sur cette imputation mettra le lecteur en état d’en juger. Ce discours a deux parties ; la première a pour objet la généalogie des sciences, et la seconde est l’histoire philosophique des progrès de l’esprit humain depuis la renaissance des lettres. Dans cette dernière partie il n’y a pas un seul mot qui appartienne au grand homme dont on m’accuse d’être le copiste. L’exposition et le détail de l’ordre généalogique des sciences et des arts, qui compose presque en entier la première partie, n’appartient pas davantage à Bacon. J’ai seulement emprunté, vers la fin de cette première partie, quelques unes de ses idées, en très-petit nombre, sur l’ordre encyclopédique des connaissances humaines, qu’il ne faut pas confondre, comme je l’ai prouvé, avec la généalogie des sciences ; à ces idées que Bacon m’a fournies, et dont je n’ai point dissimulé que je lui étais redevable, j’en ai joint beaucoup d’autres que je crois m’être propres, et qui sont relatives à ce même ordre encyclopédique. Ainsi le peu que j’ai tiré du chancelier d’Angleterre est renfermé dans quelques lignes de ce discours, comme il est aisé de s’en convaincre en jetant les yeux sur l’arbre encyclopédique de