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SUR L’INOCULATION.

crainte qu’il peut toujours avoir, de donner par l’inoculation une mort prématurée à quelqu’un de ses enfans, et peut-être à celui qui lui est le plus cher, peut encore avoir assez de force pour le faire balancer : l’amour paternel, de tous les sentimens le plus profond et le plus vif, peut se faire des scrupules dont il faut respecter la délicatesse ; et tout ce qui tient aux impressions de la nature est d’un genre qu’on ne peut soumettre àl analyse mathématique.

§ VI. Ce que doit considérer, toujours dans la même hypothèse, toute personne qui voudra se faire inoculer.

Ce que nous avons dit des pères à l’égard de leurs enfans, toujours dans la supposition que l’inoculation puisse faire perdre la vie, peut se dire de même de chaque particulier qui voudra se faire inoculer. Le parti qu’on prendra dépend de mille considérations, que la seule personne intéressée peut apprécier ; du degré et de l’espèce d’attachement qu’on a pour la vie, des raisons qui peuvent y attacher plus ou moins dans le moment oii l’on délibère ; de quelques considérations particulières qui peuvent rendre la petite vérole naturelle plus redoutable ; par exemple, dans les femmes la crainte de perdre leur beauté ; dans plusieurs familles les ravages que la petite vérole y a faits ; dans certaines personnes la frayeur extrême qu’elles ont d’en mourir, frayeur qui peut seule rendre cette maladie mortelle si on en est attaqué y frayeur qui d’ailleurs trouble et empoisonne la vie, et qui doit faire recourir à l’inoculation, à moins que la terreur ne s’étende jusqu’à la crainte de succomber à l’inoculation même : c’est ce qu’on a vu dans quelques personnes, qui redoutant à peu près également la petite vérole naturelle et l’inoculée, et n’osant par cette raison s’exposer à la seconde, ont fini par être les victimes de la première.

§ VII. Examen de quelques faits quon a avancés sur la petite vérole naturelle.

Au reste, la frayeur de mourir de la petite vérole, quand elle est raisonnée, car nous ne parlons pas d’une terreur puérile et panique, doit être proportionnée au danger qu’on court réellement d’être attaqué de cette maladie et d’en mourir ; et ce danger est plus ou moins grand, selon le lieu qu’on habite, et l’âge auquel on est parvenu. En effet, les calculs que nous avons faits ci-dessus pour apprécier les avantages de l’inoculation en général, ne sont bons tout au plus que pour les grandes villes comme Paris, Londres, etc., oii la petite vérole est beau-