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RÉFLEXIONS

Cette défaite est encore, ce rae semble, du genre de celles auxquelles on a recours quand on ne veut pas être réduit au silence. Il y a apparence qu’elle serait ainsi jugée par ceux des inoculateurs qui, comme nous le verrons plus bas, assurent que la petite vérole artificielle est absolument sans danger ; ces médecins sont persuadés sans doute, ou qu’il y a des moyens de connaître si celui qu’on veut inoculer n’a pas déjà la petite vérole par contagion, ou que le danger de cette contagion, si elle existe, sera prévenu par l’inoculation, promptement et sagement administrée.

§ V. Quel parti chaque citoyen doit prendre sur l’inoculation, en conséquence de tout ce qui a été dit jusquici.

Concluons que celui qui accorde aux pères et mères que l’inoculation peut faire périr leurs enfans, s’ôte le droit de les blâmer s’ils ne s’y soumettent pas. Mais ajoutons, car il ne faut rien outrer, que, dans cette supposition même, on n’aurait pas moins de tort de blâmer ceux qui auraient le courage ou la prudence de courir ce risque, et de le préférer à celui d’attendre la petite vérole naturelle, cette maladie si commune, si redoutée et si dangereuse. Si l’inoculation peut faire perdre la vie, et si en même temps elle préserve de la petite vérole naturelle, le parti que doit prendre tout homme sage est de ne donner de conseil à personne, ni pour ni contre cette opération. Un père, dans ces circonstances, ne doit pour la décision s’en rapporter qu’à lui-même. Cette décision dépendra non-seulement du degré auquel il aime son fils, mais de la manière dont il l’aime, si c’est, par exemple, comme son fils, ou comme son héritier ; si c’est par tendresse, ou seulement par devoir ; si c’est comme son bien, ou comme le bien de l’État : la décision dépendra encore des circonstances oii ce père se trouve ainsi que son fils, et qui peuvent le déterminer à hâter ou à suspendre cette opération ; de la proportion qu’il établira dans son esprit, d’une part entre la nature des deux reproches dont il court le rique, et de l’autre entre la probabilité qu’il a d’être dans le cas de se les faire. Comme ce rapport est inappréciable, chaciin peut l’estimera son gré, suivant le degré et l’espèce de sentiment dont il est pourvu, et se déterminer en conséquence.

Si ce père a une nombreuse famille, cette considération ajoute beaucoup dans la balance en faveur de l’inoculation, parce que plus il aura d’enfans, plus il est vraisemblable qu’il en perdra quelqu’un par la petite vérole naturelle. Cependant le reste de