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SUR L’INOCULATION.

aussi beaucoup d’autres ne jugent-ils pas à propos de courir ce risque, et n’en sont peut-être pas moins sages.

Enfin, dit-on encore, en se faisant saigner par précaution, on expose aussi sa vie, puisqu’il y a des exemples de saignées devenues mortelles par la piqûre d’un tendon ou d’une artère ; est-ce à dire qu’il ne faut pas se faire saigner par précaution ?

Les deux cas ne sont pas les mêmes ; la saignée de sa nature est salubre, ou du moins regardée comme telle, et ne peut être nuisible que par la maladresse accidentelle de l’opérateur ; au lieu que ceux qui accordent qu’on peut mourir de l’inoculation ne sauraient attribuer ce malheur qu’à la maladie même qu’on s’est donnée.

Non, répondent quelques uns d’entre eux ; quand un inoculé périrait, il serait injuste d’attribuer sa mort à l’inoculation ; il est prouvé que de 300 personnes vivantes il en meurt à peu près une par mois ; l’inoculé qui meurt sera cette trois-centième personne qui devait mourir, et qui serait morte d’ailleurs sans se faire inoculer.

Cette réponse, si on ose le dire, ne paraît qu’un faux-fuyant peu capable de faire impression sur les esprits non prévenus. Que penserait-on d’un père qui dirait : mon fils est mort à la suite de l’inoculation, mais je m’en console, parce que sûrement il serait mort dans le mois, indépendamment de cette maladie ? D’ailleurs, de l’aveu des inoculateurs mêmes, ceux qu’on inocule doivent être, si l’opérateur est sage, dans un état de santé qui ne laisse presque pas douter du succès ; or je veux bien accorder que de 300 personnes il en meurt une dans le mois, si ces 300 personnes sont prises au hasard, parce qu’en effet parmi ces 300 personnes il y en aurait plus d’une dont l’examen annoncerait évidemment qu’elle touche à sa fin ; mais de 300 personnes choisies, reconnues bien portantes par un observateur attentif et expérimenté, n’ayant pas en un mot la plus légère cause apparente de mort, et même de maladie prochaine, en mourra-t-il une dans le mois ? c’est de quoi je doute beaucoup ; je crois même qu’on peut assurer le contraire. En effet, comme on l’a vu plus haut, 1200 inoculés bien choisis, et traités en Angleterre par un seul opérateur, ont échappé à la mort ; or il aurait du en mourir quatre, dans la supposition que de 300 personnes bien saines, il en meure une dans le mois.

Mais, disent encore quelques partisans de l’inoculation, ceux à qui cette opération paraîtra donner la mort, peuvent avoir déjà contracté par contagion le venin de la petite vérole naturelle, dont ils périront, quoiqu’ils soient en apparence les victimes de la petite vérole artificielle.