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RÉFLEXIONS

§ III. Doutes qui peuvent encore subsister malgré ces conséquences.

Cependant, si j’ose dire ici ce que je pense, je ne suis point surpris non plus que d’autres citoyens se refusent à ce même avantage, quelque considérable qu’il puisse paraître. Dès qu’on accordera qu’on peut mourir de l’inoculation, je n’oserai plus blâmer un père qui craindra de faire inoculer son fils. Car si ce fils par malheur en est la victime, son père aura éternellement à se faire le reproche affreux d’avoir avancé la mort de ce qu’il avait de plus cher ; et je ne connais rien à mettre dans la balance vis-à-vis d’un pareil malheur, fait pour répandre sur les jours de ce père infortuné la plus cruelle amertume. J’avoue que s’il ne fait pas inoculer son fils, il aura peut-être à se reprocher un jour de l’avoir laissé périr de la petite vérole naturelle ; mais quelle différence entre le désespoir d’avoir hdté la mort de ce fils, et le malheur de la lui avoir laissé subir, parce qu’il n’a pas osé courir le risque de la lui donner ? Quand il y aurait dix mille à parier contre un qu’on aura le second reproche à se faire plutôt que le premier, je ne sais si cette différence de probabilité serait suffisante pour justifier à ses propres yeux un père qui aurait perdu son fils par l’inoculation ; je doute encore plus que cette raison put consoler une mère. Qu’on le demande à cette mère infortunée, qui a eu la douleur cruelle de voir périr par l’inoculation une de ses filles, quoiqu’elle n’eût pas à se reprocher de l’y avoir livrée sans son consentement, et qu’elle eût même cédé avec beaucoup de peine aux instances que cette jeune et malheureuse personne lui avait faites à ce sujet.

§ IV. Examen de quelques raisonnemens qui paraissent peu concluans en faveur de l’inoculation.

Un père, dit-on, qui marie sa fille, l’expose à mourir en couche, et ce danger est même plus grand que celui de l’inoculation.

Cela est vrai ; mais un père qui marie sa fille suit l’intention de la nature ; le genre humain périrait bientôt, si les filles ne se mariaient pas ; au lieu qu’il ne périra jamais quand l’inoculation cesserait.

On ajoute que ceux qui tous les jours s’exposent sur mer pour faire fortune, courent beaucoup plus de risque que les inoculés.

Cela se peut, et c’est l’affaire de ceux qui s’exposent sur mer