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SUR L’INOCULATION.

terre 1200 inoculés, bien choisis et trailés avec soin, ont échappé au danger de l’inoculation ; n’y a-t-il pas tout lieu de croire que 3000 inoculés, choisis et traités de même, en réchapperaient ? On assure qu’à Constantinople 10000 personnes, inoculées avec précaution dans une seule annjée, ont subi heureusement cette épreuve ; quand le fait serait exagéré du triple, c’en serait plus que nous n’en demandons.

Enfin, quand même le risque de mourir de l’inoculation, sagement administrée, serait plus grand que celui de mourir de la petite vérole naturelle dans le courant du même mois, ce risque, s’il n’était en effet que de 1 sur 1200, serait encore plus petit que celui de mourir de la petite vérole naturelle dans l’espace de trois mois. Car le nombre de ceux qui meurent à Paris de la petite vérole, année commune, est tout au moins de 1 sur 1000 en trois mois ; donc le risque de mourir de la petite vérole naturelle en trois mois, serait au moins égal, et vraisemblablement supérieur à celui de mourir en un mois de l’inoculation. Or risquer de mourir au bout d’un mois, ou dans l’esjiace de trois, est à peu près la même chose pour le commun des hommes. On ne devrait donc pas balancer à préférer celui de ces deux risques, qui délivre pour toujours de la crainte de la petite vérole. Par là on aurait l’avantage de s’assurer à la fois une vie plus longue et une plus grande tranquillité ; avantage assez grand pour l’emporter sur la légère probabilité de succomber à l’inoculation, en ne sacrifiant que deux mois de sa vie. Lorsqu’il est question d’un avantage, même éloigné, il y a une infinité de cas, surtout dans le cours de la vie, où une probabilité très-petite de danger, qui balance cet avantage, doit être traitée comme si elle était absolument nulle. Ce principe, pour le dire en passant, est très-important dans la théorie des jeux de hasard, et peut servir à résoudre des questions épineuses et délicates, qui n’ont point été résolues jusqu’ici, ou qui l’ont été mal, mais qui ne sont pas quant à présent de notre objet.

Yoilà, ce me semble, ce qu’on peut dire de plus fort en faveur de l’inoculation ; cette manière d’en calculer l’avantage, quoiqu’elle ait échappé à ses plus zélés partisans, est, si je ne me trompe, la moins sujette aux objections qu’il est possible. Il est vrai qu’elle ne donne pas et ne saurait donner la valeur précise, mathématique et rigoureuse, de l’avantage qu’il y a à se faire inoculer ; mais elle montre, et cela suffit, que l’avantage est très-considérable ; je ne suis donc pas surpris que cet avantage détermine un grand nombre de citoyens à subir l’inoculation, ou à la faire subir aux personnes qui les intéressent.