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RÉFLEXIONS

Or on peut supposer sans erreur qu’il y a au moins la moitié des vivans qui ont déjà eu la petite vérole. En effet, la totalité des personnes vivantes depuis la première enfance jusqu’à trente ans, est à peu près, comme le prouvent les tables de mortalité, la moitié du nombre total des vivans depuis le berceau jusqu’au plus long terme de la vie ; or le nombre de ceux qui n’ont pas encore eu la petite vérole, est sans comparaison plus considérable depuis le berceau jusqu’à trente ans, que depuis trente ans jusqu’à la dernière vieillesse ; et le nombre de ceux qui n’ont pas eu la petite vérole, dans la classe qui s’étend depuis le berceau jusqu’à trente ans, est évidemment beaucoup moindre que le nombre total des personnes vivantes dans cette classe, c’est-à-dire beaucoup moindre que la moitié du nombre total des vivans ; d’oii on peut conclure, sans craindre de se tromper, que parmi la totalité des personnes actuellement vivantes, depuis le berceau jusqu’à la dernière vieillesse, le nombre de ceux qui n’ont point eu la petite vérole est beaucoup moindre que la moitié du nombre total de ces personnes vivantes. Mais supposons qu’il n’en soit que la moitié, pour mettre nos calculs à l’abri de toute contestation. Donc des 6000 personnes prises au hasard, et à tout âge, parmi lesquelles nous venons de voir qu’il en meurt une par mois de la petite vérole, il y en a au moins 3000 qui ont déjà eu cette maladie ; donc ceux qui meurent de la petite vérole doivent se trouver parmi les 3000 autres ; donc, année commune, il meurt à Paris de la petite vérole naturelle au moins une personne sur 3000 en un mois.

§ II. Conséquences qu’on peut tiner de ces principes en faveur de l’inoculation.

Si donc l’inoculation, qui enlève déjà si peu de personnes, même prises au hasard, se perfectionnait au point de n’en faire périr qu’une sur 3000 ou sur un plus grand nombre, alors la partie du genre humain que la petite vérole enlève chaque mois, ne serait pas plus petite, ou même serait plus grande que celle qui succomberait à l’inoculation : en ce cas, le danger réel de cette opération serait nul, et personne au monde ne devrait craindre de s’y exposer, ou pour soi ou pour les siens : car alors on ne courrait pas plus de risque, ou même on en courrait moins à se donner la petite vérole, qu’à attendre qu’elle vînt naturellement dans le courant du mois où l’on se fait inoculer ; avec cet avantage de plus, que l’inoculation délivrerait pour le reste de la vie, comme on le suppose, de la crainte d’une maladie affreuse et cruelle.

Or des listes, qu’on assure fidèles, prouvent qu’en Angle-