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RÉFLEXIONS

râligmenlation de la vie moyenne, ou plutôt l’avantage que doit procurer cette augmentation, relativement au temps et à l’âge oii l’on en doit jouir ; or la difficulté est de fixer ce rapport.

§ VIII. Autre considération très-importante à faire sur ce sujet.

La supposition que nous avons faite il n’y a qu’un moment, toute gratuite qu’elle est, conduit encore à une autre considération, qu’on n’a pas, ce me semble, assez faite en cette matière. On a trop confondu l’intérêt que l’Etat en général peut avoir à l’inoculation, avec celui que les particuliers y peuvent trouver ; ces deux intérêts peuvent être fort différens. Par exemple, dans l’hypotlièse que nous venons de faire, il est certain que l’Etat gagnerait à l’inoculation, puisqu’en sacrifiant un citoyen sur cinq, la société serait assurée de conserver ses autres membres sains et vigoureux jusqu’à l’âge de cent ans ; cependant nous venons de voir que dans cette même hypothèse, il n’y aurait peut-être pas de citoyen assez courageux ou assez téméraire, pour s’exposer à une opération, où il risquerait un contre quatre de perdre la vie. C’est que, pour chaque individu, l’intérêt de sa conservation particulière est le premier de tous ; l’Etat au contraire considère tous les citoyens indifféremment, et en sacrifiant une victime sur cinq, il lui importe peu quelle sera cette victime, pourvu que les quatre autres soient conservées. Or je demande si aucun législateur serait en droit d’obliger les citoyens à l’inoculation, dans la supposition, d’ailleurs si favorable à l’État, qu’il en pérît un sur cinq, et que les quatre autres qui en réchapperaient fussent assurés de cent ans de vie ? C’est une question digne d’exercer les arithméticiens politiques ; pour moi, je ne crois pas que dans une pareille circonstance, ni même dans la supposition que l’inoculation puisse être mortelle, aucun législateur, aucun souverain, aucun État puisse exiger du dernier citoyen qu’il en coure le risque. Ce n’est pas ici le cas d’appliquer la maxime dont on abuse quelquefois, que le bien particulier doit être sacrifié au bien public ; parce que si chaque citoyen doit à l’Etat le risque de sa vie, il ne le lui doit en rigueur que dans le cas de la plus pressante nécessité, comme serait celle de le défendre ou de le sauver de sa destruction.

Quoiqu’il en soit, on se convaincra, du moins par l’hypothèse précédente, que dans cette matière délicate, l’intérêt de l’État et celui des particuliers doivent être calculés séparément. On ne pensera pas, par exemple, comme le célèbre mathématicien