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SUR L’INOCULATION.

chacun 50 ans, l’un portant l’autre, en ne se faisant point inoculer. Je suppose ensuite que l’inoculation, une fois pratiquée, délivre de la petite vérole pour tout le reste de la vie, et par conséquent que les inoculés soient sûrs de vivre loo ans, s’ils échappent à l’inoculation ; mais que cette opération enlève une victime sur cinq, en sorte qu’il n’en réchappe que les quatre cinquièmes. Cela posé, si tous les citoyens sont inoculés à la mamelle, il en mourra en 15 jours un cinquième, et les survivans vivront 100 ans chacun ; donc la vie moyenne du total des enfans, qui était de 50 années avant qu’on les inoculât, deviendra, au moment oii on les inocule, de 100 ans moins un cinquième, c’est-à-dire de 80 ans, et par conséquent de 30 années plus grande que ne le serait la vie moyenne de ces mêmes enfans abandonnés à la nature : dans cette même hypothèse, la vie moyenne des enfans de 10 ans serait de 45 années avant l’inoculation, et de 72, c’est-à-dire de 27 ans de plus, au moment où on les inoculerait ; celle des personnes de 20 ans serait de 40 ans avant l’inoculation, et de 64 dès qu’elles seraient inoculées, c’est-à-dire de 24 ans de plus, et ainsi du reste. Si donc on appliquait à cette hypothèse le raisonnement fondé sur l’augmentation de la vie moyenne des inoculés, on en conclurait que dans le cas présent l’inoculation serait très-avantageuse ; cependant je doute que dans ce même cas personne ne voulût prendre le parti de la risquer, ni sur soi ni sur les siens ; par la raison que le risque de mourir de l’inoculation étant un danger instant et présent, et se trouvant d’un contre quatre, est plus que suffisant pour balancer la certitude de vivre jusqu’à 100 ans après avoir échappé à cette opération. En vain répondrait-on que nous avons fait une supposition arbitraire, qui n’a point lieu dans l’état actuel de la vie des hommes. Cette supposition suffit pour l’objet que nous nous sommes proposé, pour montrer que l’augmentation de la vie moyenne des inoculés n’est pas un argument suffisant en faveur de l’inoculation ; car, encore une fois, si ce principe était juste, il serait applicable à toutes sortes d’hypothèses, surtout à celles oii la vie moyenne des inoculés serait considérablement plus grande que la vie moyenne de ceux qui ne le sont pas. Dans le cas imaginaire que nous avons pris, le risque de mourir de l’inoculation est très-grand, mais la vie moyenne est prodigieusement augmentée ; dans le cas réel, le risque est sans doute beaucoup moindre, mais l’augmentation de la vie moyenne est beaucoup moindre aussi. Ce n’est donc ni la longueur seule de la vie moyenne, ni la seule petitesse du risque, qui doit déterminer à admettre l’inoculation ; c’est uniquement le rapport entre le risque d’une part, et de l’autre