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SUR L’INOCULATION.

vivrj encore 24 ans et 4 mois en s’abandonnant à la nature et en ne se faisant point inoculer ; je suppose encore avec Bernoulli, comme on l’a vu plus haut, qu’en se soumettant à cette opération, la vie soit de 27 ans, c’est-à-dire de 2 ans et 8 mois de plus que si on attendait la petite vérole ; je suppose enfin, toujours avec Bernoulli, que le risque de mourir de l’inoculation soit de 1 sur 200 ; cela supposé, il me semble que pour apprécier l’avantage de l’inoculation, il faut comparer, non la vie moyenne de 27 ans à la vie moyenne de 24 ans et 4 mois, mais Je risque de i sur 200, auquel on s’expose, de mourir en un inois par l’moculation, et cela à l’âge de 30 ans, dans la force de la santé et de la jeunesse, à l’avantage éloigné de vivre 2 ans et 8 mois par-delà 54 ans, c’est-à-dire lorsqu’on sera beaucoup moms jeune, moins vigoureux, enfin moins en état de jouir de la vie[1].

§ VI. Comparaison frappante pour faire sentir l’insuffisance de ces calculs.

En un mot, si on admet les suppositions de Bernoulli, celui qui se fait inoculer est à peu près dans le cas d’un joueur qui risque 1 contre 200, de perdre tout son bien dans la journée, pour l’espérance d’ajouter à ce bien une somme inconnue, et même assez petite, au bout d’un nombre d’années fort éloigné, et lorsqu’il sera beaucoup moins sensible à la jouissance de cette augmentation de fortune. Or, comment comparer ce risque présent à cet avantage inconnu et éloigné ? c’est sur quoi l’analyse des probabilités ne peut rien nous apprendre : toutes les règles de cette analyse n’enseignent qu’à comparer un risque présent ou proche, à un avantage également présent ou proche, et non un risque présent à un avantage éloigné, qui diminue par sa distance même, sans qu’on » jmisse estimer au juste, ni même à peu près, suivant quelle loi se fait cette diminution.

Ce serait une objection bien puérile contre la comparaison précédente, de dire que personne n’est obligé de risquer son argent au jeu, au lieu que tout homme est obligé de jouer le jeu de se faire inoculer, s’il ne veut pas s’exposer au risque de mourir un jour de la petite vérole. Pour prévenir cette chicane supposons que le joueur auquel nous comparons l’inoculé se trouve obligé en effet, n’importe par quelle circonstance, ou de risquer 1 contre 200 d’être réduit tout à coup à l’aumône ou

  1. Le calcul est fait ici d’après les principes de Bernoulli, avec plus de précision que dans les premières éditions de cet écrit, et le nouveau résultat est encore moins favorable à l’inoculation ; mais de quelque calcul que l’on parte, le raisonnement sera toujours le même.