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RÉFLEXIONS

vérole, lorsqu’on en est attaqué, soit le même pour tous les âges ? Sur un nombre égal de personnes de 20 ou 24 ans d’une part, et de l’autre d’enfans de 4, 5 ou 6 ans qui auront la petite vérole, peut-on supposer raisonnablement qu’il n’en mourra pas davantage dans la première classe que dans la seconde ? L’expérience paraît prouver le contraire ; et il n’est pas difficile de concevoir qu’en effet cette maladie est plus dangereuse dans un âge où le sang est peut-être déjà fort altéré par les passions, par la manière de vivre, et par mille autres causes, que dès l’enfance où le sang est infiniment plus pur et plus doux.

Aussi les suppositions de Bernoulli conduisent-elles à des conséquences qui ne paraissent pas fort vraisemblables ; entre autres à celle-ci, que, dans le cours de la neuvième année de la vie, il meurt, par la seule petite vérole, les deux tiers de ce qui meurt par toutes les autres maladies prises ensemble. Il n’y aura, je crois, personne à qui ce résultat ne paraisse exorbitant.

Enfin les hypothèses de ce grand géomètre sur le risque de l’inoculation ne sont peut-être pas plus exactes ; il faudrait savoir si cette opération emporte toujours, comme il le suppose, la même partie des inoculés, à quelque âge qu’on les inocule.

J’avouerai cependant que s’il n’y avait que des difficultés de cette espèce qui empêchassent de fixer par le calcul les avantages de l’inoculation, ces diflicultés n’auraient lieu qu’à raison de l’imperfection actuelle de nos connaissances sur cette matière, et le petit nombre d’observations certaines qu’on a recueillies jusqu’à présent. En formant avec le tenips des tables exactes de ceux qui prennent la petite vérole à chaque âge, de ceux qui en meurent, et du sort des inoculés, on parviendrait dans la suite à une connaissance précise de la mortalité du genre humain, dans l’hypothèse qu’on laisse agir la petite vérole naturelle, et dans l’hypothèse de l’inoculation ; et on aurait la différence de vie moyenne dans les deux cas.

Mais qu’apprendra-t-on par cette différence de vie moyenne ? On connaîtra tout au plus pour chaque âge le temps qu’on peut espérer d’ajouter à sa vie en se faisant inoculer ; or cette connaissance ne me paraît pas suffire pour fixer d’une manière satisfaisante les avantages de l’inoculation. Afin de me faire mieux entendre, j’appliquerai à un exemple le raisonnement que je vais faire. Je suppose, comme il résulte des principes et des calculs de Bernoulli, que la vie moyenne d’un Iiomme de 3o ans, qui n’a point eu la petite vérole, soit 24 autres années et 4 mois, c’est-à-dire qu’il puisse raisonnablement espérer de