Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/514

Cette page n’a pas encore été corrigée
472
RÉFLEXIONS

grand que ce temps même. Afin de le prouver d’une manière sensible, je suppose pour un moment qu’à 100 ans le risque d’avoir la petite vérole et d’en mourir, soit le même qu’il est à la moitié de l’intervalle entre 30 et 100 ans, c’est-à-dire à 65 ans ; et je dis que le désavantage du risque qu’on court à loo ans est infiniment moindre que la moitié du désavantage du risque qu’on courrait à 65, et qu’il sera même absolument nul ; par la raison que loo ans étant supposés le terme de la vie humaine, il faudra mourir à cet âge, ou de la petite vérole, ou d’une autre maladie.

3o. La difficulté d’apprécier le désavantage de succomber à la petite vérole dans un temps plus ou moins éloigné, devient plus grande encore, si on considère que cette appréciation sera et devra être fort différente pour chaque particulier, relativement à son âge, à sa situation, à sa manière de penser et de sentir, au besoin que sa famille, ses amis, ses concitoyens peuvent avoir de lui. Je suppose, par exemple, qu’on annonce à quelqu’un que s’il ne se fait inoculer, il mourra au bout de 20 ans de la petite vérole ; il est certain que ces 20 ans de vie dont il est assuré, pourront lui être ou lui paraître plus ou moins avantageux relativement aux circonstances où il se trouvera placé ; et qu’il n’y aura peut-être pas deux individus qui apprécient également cet avantage. Il pourrait être si grand, que quand on ne risquerait que 1 sur 500 à se faire inoculer, et qu’on serait assuré ensuite de vivre 40 ans ou davantage, on ferait un mauvais marché de prendre ce dernier parti.

On voit par là combien il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’apprécier le désavantage de mourir de la petite vérole dans un temps plus ou moins éloigné du moment actuel d’oii l’on est supposé partir.

Je pourrais faire encore entrer dans le calcul une autre considération qui doit certainement y influer beaucoup, et qui me paraît du moins aussi dililcile à apprécier que les précédentes. Plus l’âge auquel on sera supposé courir le risque de la petite vérole sera considérable, plus le désavantage de mourir diminue par une nouvelle raison ; savoir, que durant le temps qu’on peut encore espérer de vivre, on sera plus sujet aux infirmités, aux souffrances, aux maladies qu’on peut regarder comme une espèce de mort anticipée ; ce qui doit rendre moins cher et moins précieux le temps qui pourrait encore rester à vivre. Mais je veux bien mettre cet objet essentiel absolument à part, ainsi que les considérations relatives à la situation des particuliers, et qui peuvent, comme ou vient de le voir, augmenter ou diminuer encore le désavantage. En faisant donc cette double abstraction.