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DES PROBABILITÉS.

quelque manière les trois arrangemens comme également possibles, physiquement parlant, quoique la possibilité mathématique soit égale et la même pour tous les trois.

On est étonné que la lune tourne autour de son axe dans un temps précisément égal à celui qu’elle met à tourner autour de la terre, et on cherche quelle en est la cause ? Si le rapport des deux temps était celui de deux nombres pris au hasard, par exemple de 21 à 33, on ne serait plus surpris, et on n’y chercherait pas de cause ; cependant le rapport d’égalité est évidemment aussi possible, mathématiquement parlant, que celui de 21 à 33 ; pourquoi donc chercher une cause au premier et non pas au second ?

Un grand géomètre, Daniel Bernoulli, nous a donné un savant mémoire où il cherche par quelle raison les orbites des planètes sont renfermées dans une très-petite zone parallèle à l’écliptique, et qui n’est que la dix-septième partie de la sphère ; il calcule combien il y a à parier que les cinq planètes, Saturne, Jupiter, Mars, Vénus et Mercure, jetées au hasard autour du soleil, s’écarteraient si peu du plan où tourne la sixième planète, qui est la Terre ; il trouve qu’il y a à parier plus de 1 400 000 contre un que la chose n’arriverait pas ainsi : d’où il conclut que cet effet n’est point dû au hasard, et en conséquence il en cherche et en détermine bien ou mal la cause. Or je dis que, mathématiquement parlant, il était également possible, ou que les cinq planètes s’écartassent aussi peu qu’elles le font du plan de l’écliptique, ou qu’elles prissent tout autre arrangement, qui les aurait beaucoup plus écartées, et dispersées comme les comètes sous tous les angles possibles avec l’écliptique ; cependant personne ne s’avise de demander pourquoi les comètes n’ont pas de limites dans leur inclinaison, et on demande pourquoi les planètes en ont ? Quelle peut en être la raison ? sinon encore une fois parce qu’on regarde comme très-vraisemblable, et presque comme évident qu’une combinaison où il paraît de la régularité et une espèce de dessein, n’est pas l’effet du hasard, quoique, mathématiquement parlant, elle soit aussi possible que toute autre combinaison où l’on ne verrait aucun ordre ni aucune singularité, et à laquelle, par cette raison, on ne penserait pas à chercher une cause.

Si on jetait cinq fois de suite un dé à dix-sept faces, et que toutes ces cinq fois il arrivât sonnez, Bernoulli pourrait prouver qu’il y avait précisément le même pari à faire que dans le cas des planètes, que sonnez n’arriverait pas ainsi. Or, je lui demande s’il chercherait une cause à cet événement, ou s’il n’en chercherait pas ? S’il n’en cherche point, et qu’il le regarde