Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
458
SUR LE CALCUL

D’assigner la loi de cette diminution, c’est ce que ni moi, ni personne, je crois, ne peut faire : mais je pense en avoir assez dit pour convaincre mes lecteurs que les principes du calcul des probabilités pourraient bien avoir besoin de quelques restrictions lorsqu’on voudra les envisager physiquement.

Pour fortifier les réflexions précédentes, qu’on me permette d’y ajouter celles-ci.

Je suppose que mille caractères qu’on trouverait arrangés sur une table, formassent un discours et un sens ; je demande quel est l’homme qui ne pariera pas tout au monde que cet arrangement n’est pas l’effet du hasard ? Cependant il est de la dernière évidence que cet arrangement de mots qui donnent un sens, est tout aussi possible, mathématiquement parlant, qu’un autre arrangement de caractères, qui ne formerait point de sens. Pourquoi le premier nous paraît-il avoir incontestablement une cause, et non pas le second ? si ce n’est parce que nous supposons tacitement qu’il n’y a ni ordre, ni régularité dans les choses où le hasard seul préside ; ou du moins que quand nous apercevons dans quelque chose de l’ordre, de la régularité, une sorte de dessein et de projet, il y a beaucoup plus à parier que cette chose n’est pas l’effet du hasard, que si on n’y apercevait ni dessein ni régularité.

Pour développer mon idée avec encore plus de netteté et de précision, je suppose qu’on trouve sur une table des caractères d’imprimerie arrangés en cette sorte :

C o n s t a n t i n o p o l i t a n e n s i b u s,
ou a a b c e i i i l n n n n n o o o p s s s t t t u,
ou n b s a e p t o l n o i a u o s t n i s n i c t n,

ces trois arrangemens contiennent absolument les mêmes lettres : dans le premier arrangement elles forment un mot connu ; dans le second elles ne forment point de mot, mais les lettres y sont disposées suivant leur ordre alphabétique, et la même lettre s’y trouve autant de fois de suite qu’elle se trouve de fois dans les vingt-cinq caractères qui forment le mot Constantinopolitanensibus ; enfin, dans le troisième arrangement, les caractères sont pêle-mêle, sans ordre, et au hasard. Or il est d’abord certain que, mathématiquement parlant, ces trois arrangemens sont également possibles. Il ne l’est pas moins que tout homme sensé qui jettera un coup d’œil sur la table où ces trois arrangemens sont supposés se trouver, ne doutera pas, ou du moins pariera tout au monde que le premier n’est pas l’effet du hasard, et qu’il ne sera guère moins porté à parier que le second arrangement ne l’est pas non plus. Donc cet homme sensé ne regarde pas en