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SUR LES LOIS

donner d’autres lois que celles que nous y observons ; dès qu’on admet un être intelligent capable d’agir sur la matière, il est évident que cet être peut à chaque instant la mouvoir et l’arrêtera son gré, ou suivant des lois uniformes, ou suivant des lois qui soient différentes pour chaque instant et pour chaque partie de matière ; l’expérience continuelle des mouvemens de notre corps nous prouve assez que la matière, so’umise à la volonté d’un principe pensant, peut s’écarter, dans ses mouvemens, de ceux qu’elle aurait véritablement si elle était abandonnée à elle-même. La question proposée se réduit donc à savoir si les lois de l’équilibre et du mouvement qu’on observe dans la nature, sont différentes de celles que la matière abandonnée à elle-même aurait suivies. Développons cette idée. Il est de la dernière évidence qu’en se bornant à supposer l’existence de la matière et du mouvement, il doit nécessairement résulter de cette double existence certains effets ; qu’un corps mis en mouvement par quelque cause, doit ou s’arrêter au bout de quelque temps, ou continuer toujours à se mouvoir ; qu’un corps qui tend à se mouvoir à la fois suivant les deux côtés d’un parallélogramme, doit nécessairement décrire, ou la diagonale, ou quelque autre ligne ; que quand plusieurs corps en mouvement se rencontrent et se choquent, il doit nécessairement arriver en conséquence de leur impénétrabilité mutuelle, quelque changement dans l’état de tous ces corps, ou au moins dans l’état de quelques uns d’entre eux. Or, des différens effets possibles, soit dans le mouvement d’un corps isolé, soit dans celui de plusieurs corps qui agissent les uns sur les autres, il en est un qui, dans chaque cas, doit infailliblement avoir lieu en conséquence de l’existence seule de la matière, et abstraction faite de tout autre principe différent qui pourrait modifier cet effet ou l’altérer. Yoici donc la route qu’un philosophe doit prendre pour résoudre la question dont il s’agit. Il doit tâcher d’abord de découvrir, par le raisonnement, quelles seraient les lois de la statique et de la mécanique dans la matière abandonnée à elle-même ; il doit examiner ensuite par l’expérience quelles sont ces lois dans l’univers ; si les unes et les autres sont différentes, il en conclura que les lois de la statique et de la mécanique, telles que l’expérience les donne, sont de vérité contingente, puisqu’elles seront la suite d’une volonté particulière et expresse de l’Être suprême ; si, au contraire, les lois données par l’expérience s’accordent avec celles que le raisonnement seul a fait trouver, il en conclura que les lois observées sont de vérité nécessaire ; non pas en ce sens que le Créateur n’eût jiu établir