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DE L’ÉQUILIBRE.

à l’élever, sans donner à ses fondemens toute la solidité convenable.

Je me suis proposé dans cet ouvrage de satisfaire à ce double objet, de reculer les limites de la mécanique, et d’en aplanir l’abord ; et mon but principal a été de remplir en quelque sorte un de ces objets par l’autre, c’est-à-dire, non-seulement de déduire les principes de la mécanique des notions les plus claires, mais de les appliquer aussi à de nouveaux usages ; de faire voir tout à la fois, et l’inutilité de plusieurs principes qu’on avait employés jusqu’ici dans la mécanique, et l’avantage qu’on peut tirer de la combinaison des autres pour le progrès de cette science ; en un mot, d’étendre les principes en les réduisant. Telles ont été mes vues dans le traité que je mets au jour. Pour faire connaître au lecteur les moyens par lesquels j’ai tâché de les remplir, il ne sera peut-être pas inutile d’entrer ici dans un examen raisonné de la science que j’ai entrepris de traiter.

Le mouvement et ses propriétés générales sont le premier et le principal objet de la mécanique ; cette science suppose l’existence du mouvement, et nous la supposerons aussi comme avouée et reconnue de tous les physiciens. À l’égard de la nature du mouvement, les philosophes sont au contraire fort partagés là-dessus. Rien n’est plus naturel, je l’avoue, que de concevoir le mouvement comme l’application successive du mobile aux différentes parties de l’espace indéfini, que nous imaginons comme le lieu des corps : mais cette idée suppose un espace dont les parties soient pénétrables et immobiles ; or personne n’ignore que les Cartésiens, secte qui à la vérité n’existe presque plus aujourd’hui, ne reconnaissent point d’espace distingué des corps, et qu’ils regardent l’étendue et la matière comme une même chose. Il faut convenir qu’en partant d’un pareil principe, le mouvement serait la chose la plus difficile à concevoir, et qu’un Cartésien aurait peut-être beaucoup plutôt fait d’en nier l’existence, que de chercher à en définir la nature. Au reste, quelque absurde que nous paraisse l’opinion de ces philosophes, et quelque peu de clarté et de précision qu’il y ait dans les principes métaphysiques sur lesquels ils s’efforcent de l’appuyer, nous n’entreprendrons point de la réfuter ici : nous nous contenterons de remarquer que pour avoir une idée claire du mouvement, on ne peut se dispenser de distinguer au moins par l’esprit deux sortes d’étendue : l’une qui soit regardée comme impénétrable, et qui constitue ce qu’où appelle proprement les corps ; l’autre, qui étant considérée simplement comme étendue, sans examiner si elle est pénétrable ou non, soit la mesure de la distance d’un corps à un autre, et les parties envisagées comme