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SUR LES LOIS

en philosophes : les notions les plus abstraites, celles que le commun des hommes regarde comme les plus inaccessibles, sont souvent celles qui portent avec elles une plus grande lumière : l’obscurité semble s’emparer de nos idées, à mesure que nous examinons dans un objet plus de propriétés sensibles ; l’impénétrabilité, ajoutée à l’idée de l’étendue, semble ne nous offrir qu’un mystère de plus ; la nature du mouvement est une énigme pour les philosophes ; le principe métaphysique des lois de la percussion ne leur est pas moins caché ; en un mot, plus ils approfondissent l’idée qu’ils se forment de la matière et des propriétés qui la représentent, plus cette idée s’obscurcit, et paraît vouloir leur échapper ; plus ils se persuadent que l’existence des objets extérieurs, appuyée sur le témoignage équivoque de nos sens, est ce que nous connaissons le moins imparfaitement en eux.

Il résulte de ces réflexions que pour traiter suivant la meilleure méthode possible quelque partie des mathématiques que ce soit (nous pourrions même dire que ce puisse être), il est nécessaire non-seulement d’y introduire et d’y appliquer autant qu’il se peut des connaissances puisées dans des sciences plus abstraites, et par conséquent plus simples, mais encore d’envisager de la manière la plus abstraite et la plus simple qu’il se puisse, l’objet particulier de cette science ; de ne rien supposer, ne rien admettre dans cet objet, que les propriétés que la science même qu’on y traite y suppose. De là résultent deux avantages : les principes reçoivent toute la clarté dont ils sont susceptibles ; ils se trouvent d’ailleurs réduits au plus petit nombre possible, et par ce moyen ils ne peuvent manquer d’acquérir en même temps plus d’étendue, puisque l’objet d’une science étant nécessairement déterminé, les principes en sont d’autant plus féconds, qu’ils sont en plus petit nombre.

On a pensé depuis long-temps, et même avec succès, à remplir dans les mathématiques une partie du plan que nous venons de tracer : on a appliqué heureusement l’algèbre à la géométrie, la géométrie à la mécanique, et chacune de ces trois sciences à toutes, dont elles sont la base et le fondement. Mais on n’a pas été si attentif, ni à réduire les principes de ces sciences au plus petit nombre, ni à leur donner toute la clarté qu’on pouvait désirer. La mécanique surtout est celle qu’il paraît qu’on a négligée le plus à cet égard : aussi la plupart de ses principes, ou obscurs par eux-mêmes, Ou énoncés et démontrés d’une manière obscure, ont-ils donné lieu à plusieurs questions épineuses. En général, on a été plus occupé jusqu’à présent à augmenter l’édifice qu’à en éclairer l’enlrée ; et on a pensé principalement