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DE D’ALEMBERT.

chement pour sa patrie et pour ses amis le fit résister encore à cette seconde tentative.

D’Alembert ayant communiqué cette lettre à l’Académie Française, cette compagnie arrêta, d’une voix unanime, qu’on l’insérerait dans les registres, comme un monument honorable à un de ses membres et aux lettres.

En 1763, immédiatement après la conclusion de la paix, il alla, invité par le roi de Prusse, passer quelques mois à la cour de ce prince, qui le logea auprès de lui dans son palais, l’admit tous les jours à sa table, et le combla de marques de bonté, d’estime, et même de confiance.

Cette même année il reçut aussi l’accueil le plus honorable à la cour de Brunswick-Wolfenbuttel, où il était allé à la suite du roi de Prusse.

Le roi de Prusse fit tout son possible, pendant que d’Alembert était auprès de lui, pour l’engager à accepter la place de président de l’académie de Berlin, vacante depuis 1759 par la mort de M. de Maupertuis. Les mêmes motifs qui avaient empêché d’Alembert de se rendre aux désirs de l’impératrice de Russie, ne lui permirent pas d’accepter les offres de Frédéric, malgré toutes les obligations qu’il avait à ce prince. Il lui représenta d’ailleurs qu’il y avait dans l’académie de Berlin des hommes du premier mérite, dignes à tous égards de cette place, et qu’il ne voulait ni ne devait en priver ; ce qui n’empêcha pas le roi de Prusse d’écrire de sa main à d’Alembert, deux jours avant son départ de Berlin[1], qu’il ne nommerait point à la place de président jusqu’à ce qu’il lui plût de venir la remplir.


    fils. J’avoue que l’éducation de ce fils me tient si fort à cœur, et vous m’êtes si nécessaire, que peut-être je vous presse trop. Pardonnez mon indiscrétion en faveur de la cause, et soyez assuré que c’est l’estime qui m’a rendue si intéressée.

    Catherine.

    P. S. Dans toute cette lettre, je n’ai employé que les sentimens que j’ai trouvés dans vos ouvrages ; vous ne voudriez pas vous contredire.

  1. Lettre de la main du roi de Prusse, écrite à d’Alembert, lorsqu’il prit congé de ce prince, à Postdam, en 1763.

    Je suis fâché de voir approcher le moment de votre départ, et je n’oublierai point le plaisir que j’ai eu de voir un vrai philosophe : j’ai été plus heureux que Diogène, car j’ai trouvé l’homme qu’il a cherché si long-temps ; mais il part, il s’en va : cependant je conserverai la place de président de l’Académie, qui ne peut être remplie que par lui. Un certain pressentiment m’avertit que cela arrivera, mais qu’il faut attendre jusqu’à ce que son heure soit venue. Je suis tenté quelquefois de faire des vœux pour que la persécution des élus redouble en certains pays ; je sais que ce vœu est en quelque sorte criminel, puisque c’est désirer le renouvellement de l’intolérance, de la tyrannie et de ce qui tend à abrutir l’espèce humaine. Voilà où j’en suis… Vous pouvez