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SUR LE SYSTÈME

y soupçonner quelque marche régulière, ils imaginent aussitôt la plus parfaite et la plus simple ; bientôt une observation plus suivie les détrompe, et souvent même les ramène précipitamment à leur premier avis ; enfin une étude longue, assidue, dégagée de prévention et de système, les remet dans les limites du vrai, et leur apprend que pour l’ordinaire la loi des phénomènes n’est ni assez peu composée pour être aperçue tout d’un coup, ni aussi régulière qu’on pourrait le penser ; que chaque effet venant presque toujours du concours de plusieurs causes, la manière d’agir de chacune est simple, mais que le résultat de leur action réunie est compliqué, quoique régulier ; et que tout se réduit à décomposer ce résultat pour en démêler les différentes parties. Parmi une infinité d’exemples qu’on pourrait apporter de ce que nous avançons ici, les orbites des planètes en fournissent un bien frappant ; à peine a-t-on soupçonné que les planètes se mouvaient circulairement, qu’on leur a fait décrire des cercles parfaits et d’un mouvement uniforme, d’abord autour de la terre, puis autour du soleil comme centre. L’observation ayant montré bientôt après que les planètes étaient tantôt plus, tantôt moins éloignées du soleil, on a déplacé cet astre du centre des orbites, mais sans rien changer ni à la figure circulaire, ni à l’uniformité du mouvement qu’on avait supposées ; on s’est aperçu ensuite que les orbites n’étaient ni circulaires, ni décrites uniformément, et on leur a donné la figure elliptique, la plus simple des ovales que nous connaissions ; enfin on a vu que cette figure ne répondait pas encore à tout, que plusieurs des planètes, entre autres Saturne, Jupiter, la terre même, et surtout la lune, ne s’y assujétissaient pas exactement dans leurs cours ; on a tâché de découvrir la loi de leurs inégalités ; et c’est le grand objet qui occupe aujourd’hui les savans.

Il en a été à peu près de même de la figure de la terre ; à peine a-t-on reconnu qu’elle était ronde, qu’on l’a supposée sphérique. Voici par quels degrés on s’est désabusé de cette opinion. Les observations du pendule sous l’équateur apprirent, dans le dernier siècle, que la pesanteur y était moindre qu’aux pôles ; et il semble, pour le dire en passant, qu’on aurait pu s’en douter sans avoir besoin du secours de l’expérience, puisque les corps à l’équateur étant plus éloignés de l’axe de la terre, la force centrifuge produite par la rotation y est plus grande, et par conséquent ôte davantage à la pesanteur ; c’est ainsi que par une espèce de fatalité attachée à l’avancement des connaissances humaines, certains faits qui ne sont que des connaissances très-simples et immédiates de principes connus, demeurent néan-