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SUR LE SYSTÈME

à aucune des lois connues de la mécanique ; n’emprisonnons point la nature dans les limites étroites de notre intelligence ; approfondissons assez l’idée que nous avons de la matière pour être circonspects sur les propriétés que nous lui attribuons ou que nous lui refusons ; et n’imitons pas le grand nombre des philosophes modernes, qui, en affectant un doute raisonné sur les objets qui les intéressent le plus, semblent vouloir se dédommager de ce doute par des assertions prématurées sur les questions qui les touchent le moins.

Nous finirons ce discours par une observation que nous ne pouvons refuser à la vérité. Qu’on examine avec attention ce qui a été fait depuis quelques années par les plus habiles mathématiciens sur le système du monde, on conviendra, sans aucune peine, que l’astronomie-physique est aujourd’hui plus redevable aux Français qu’à aucune autre nation. Quelle autre, en effet, pourrait produire autant de titres ? les voyages au nord, au sud et au cap de Bonne-Espérance pour connaître la figure de la terre et pour résoudre d’autres questions importantes, le travail assidu et délicat de Le Monnier pour déterminer les mouvemens de la lune, les savantes et utiles recherches de Maupertuis, Bouguer et Clairaut ? me sera-t-il permis de joindre à cette énuinération deux de mes ouvrages, que je n’aurais pas la présomption de nommer, s’ils n’avaient eu l’avantage d’élre honorés par les suffrages les plus illustres, mon Essai sur la cause générale des Dents, et mes Recherches sur la précession des équinoxes, problème que je crois avoir le premier résolu ? Je ne parle point ici du traité que je publie aujourd’hui, dont il ne m’appartient ni de fixer le sort, ni d’apprécier le mérite. Mais indépendamment de mon travail, et quelque jugement qu’on en porte, on ne pourra disconvenir, ce me semble, que le système newtonien ne doive principalement à l’Académie des sciences de Paris les fondemens nombreux et inébranlables sur lesquels il va être appuyé désormais. Il est vrai qu’en mathématique, toutes choses d’ailleurs égales, chaque siècle doit l’emporter sur celui qui le précède, parce qu’en profitant des lumières qu’il en a reçues, il y ajoute encore ; mais on n’en doit pas moins de justice à ceux qui savent le mieux profiter de ces lumières, et les étendre davantage. S’il y a un cas dans lequel la prévention nationale soit permise, ou plutôt dans lequel cette prévention ne puisse avoir lieu, c’est lorsqu’il s’agit de découvertes purement géométriques, dont la réalité ni la propriété ne peuvent être contestées, et dont le fruit appartient d’ailleurs à tout l’univers. Ainsi notre nation, que certains savans étrangers, et peut-être même quelques Français, semblent prendre à tâche de