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DE D’ALEMBERT.

peu, et presque sans qu’il s’en aperçût, ces livres revinrent chez lui l’un après l’autre, et au bout d’un an d’étude de médecine, il résolut de se livrer entièrement à son goût dominant et presque unique. Il s’y livra si complètement qu’il abandonna absolument pendant plusieurs années la culture des belles-lettres, qu’il avait cependant fort aimées durant ses premières études ; il ne la reprit que plusieurs années après son entrée dans l’Académie des sciences, et vers le temps où il commença à travailler à l’Encyclopédie. Le discours préliminaire qui est à la tête de cet ouvrage, et dont il est auteur, est, si on peut parler ainsi, la quintescence des connaissances mathématiques, philosophiques et littéraires que l’auteur avait acquises pendant vingt années d’études.

Quelques mémoires qu’il donna à l’Académie des sciences en 1739 et en 1740, entre autres un mémoire sur la réfraction des corps solides, qui contenait une théorie curieuse et nouvelle de cette réfraction, et un autre mémoire sur le calcul intégral, le firent désirer dans cette compagnie, où il entra en 1741, à l’âge de vingt-trois ans.

En 1746, il remporta le prix à l’académie de Berlin, sur la cause générale des vents, et l’ouvrage couronné lui valut de plus l’honneur d’être élu membre de cette académie sans scrutin et par acclamation.

En 1752, le roi de Prusse lui fit offrir la survivance de la place de président de l’académie de Berlin, qu’occupait encore M. de Maupertuis, alors très-malade. Le refus que d’Alembert fit de l’accepter, n’empêcha point ce prince de lui donner, en 1754, une pension de douze cents livres[1], première récompense que d’Alembert ait reçue.

À la fin de cette même année, 1754, il fut élu par l’Académie Française à la place de M. l’évêque de Vence.

  1. Lettre du roi de Prusse à milord Maréchal, son ministre à la cour de France, en 1754.

    Vous saurez qu’il y a un homme à Paris du plus grand mérite, qui ne jouit pas des avantages de la fortune proportionnés à ses talens et à son caractère ; je pourrais servir d’yeux à l’aveugle déesse, et réparer au moins quelques uns de ses torts. Je vous prie d’offrir, par cette considération, une pension de douze cents livres à M. d’Alembert ; c’est peu pour son mérite, mais je me flatte qu’il l’acceptera en faveur du plaisir que j’aurai d’avoir obligé un homme qui joint la bonté du caractère aux talens les plus sublimes de l’esprit. Vous qui pensez si bien, vous partagerez avec moi, mon cher milord, la satisfaction d’avoir mis un des plus beaux génies de la France dans une situation plus aisée. Je me flatte de voir M. d’Alembert ici ; il a promis de me faire cette galanterie, dès qu’il aura achevé son Encyclopédie. Pour vous, mon cher milord, je ne sais quand je vous reverrai ; mais soyez persuadé que ce sera toujours trop tard, eu égard à l’estime et à l’amitié que j’ai pour vous.