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DU MONDE.

tière soit épuisée. Peut-être même, si on ose le dire, son illustre auteur n’a fait qu’en ébaucher les premiers traits. Mais la philosophie naturelle a tant d’obligations à ce grand homme, et il montre tant de génie et de sagacité dans les choses même où il a été le moins heureux, que nous ne devons point cesser de l’admirer et de le regarder comme notre maître, même lorsque nous nous écartons de ses principes, ou lorsque nous ajoutons à ses découvertes. Quelque lumière qu’il ait portée dans le système de l’univers, il n’a pu manquer de sentir qu’il laissait encore beaucoup à faire à ceux qui le suivraient. C’est le sort des pensées d’un grand homme, d’être fécondes non-seulement entre ses mains, mais dans celles des autres. Newton lui-même ne s’est élevé si haut que par l’usage heureux qu’il a su faire de quelques principes trouvés avant lui, et dont les auteurs ou n’avaient pas senti toute l’étendue, ou n’avaient pas eu le temps de l’apercevoir. Il n’y avait qu’un pas de la méthode de Barrow pour les tangentes, au calcul des fluxions ; la théorie des forces centrifuges dans le cercle, trouvée par Huyghens, et rapprochée de la théorie des développées du même auteur qui réduit toutes les courbes à des portions d’arc de cercle, conduit immédiatement et comme nécessairement à la théorie générale des forces centrales sur lesquelles le système du monde est appuyé. Newton a fait le premier ces deux pas iinportans qui paraissent aujourd’hui si simples ; plus heureux ou plus habile que Barrow et qu’Huyghens, il a, en généralisant seulement leurs principes, ouvert une carrière immense à l’avancement de la philosophie ; cependant, quelque loin qu’il ait été dans cette carrière, il ne l’a pas à beaucoup près entièrement parcourue. L’accord singulier qu’il avait trouvé dans un grand nombre de phénomènes entre la théorie et les observations, a pu l’autoriser à penser que ce même accord aurait lieu dans tous les autres cas ; mais il ne nous dispense pas d’examiner si cette conséquence est exacte. D’ailleurs, quoiqu’il se servît de l’analyse très-fréquemment, et avec beaucoup d’adresse et de succès, il a marqué dans ses ouvrages une sorte de prédilection pour la synthèse ; et la théorie de la lune dépend d’élémens trop multipliés et trop compliqués, pour qu’il soit possible de la traiter sans employer le calcul analytique.

Heureusement ce calcul a acquis depuis Newton différens degrés d’accroissement, et étant devenu d’un usage tout à la fois plus étendu et plus commode, il nous met en état de perfectionner l’ouvrage commencé par ce grand philosophe. Il suffit à sa gloire que plus d’un demi-siècle se soit écoulé sans qu’on ait presque rien ajouté à sa théorie de la lune ; et il y a